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07/10/2024 12:30
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Libération du Creusot : «3 jours inoubliables», «une formidable aventure»... la lettre souvenir de Carole

Un mois après, les souvenirs d'une Creusotine qui a particulièrement apprécié cette séquence de l'histoire du Creusot.
«3 jours inoubliables », « une formidable aventure »,…
Ces mots ne sont pas assez forts pour exprimer tout ce que j’ai ressenti …
Comme certains le diront si bien : « On y était et on l’a fait ! »
Comme un devoir, raconter pour ne jamais oublier…
 
Notre périple avec Benoit a débuté vendredi 06 septembre, dans la bourgade paisible et charmante au doux nom de « Montcenis ».
C’est à cet endroit précis où Francois, le président de l’association « Historic » nous a donné rendez-vous…
Valise à la main, je suis vêtue d’une longue et belle robe à fleurs, comme portaient ces femmes courageuses pendant ces années si tourmentées.
Benoit, chemise à carreaux, brassard FFI au bras gauche et béret sur la tête se prend pour un maquisard.
Nous rendons hommage à nos ainés…
Nous discutons avec une dame assise sur un banc, écoutons ensemble quelques musiques comme « le Ciel de Paris », « Douce France », « Paris en Colère »…, pour détendre l’atmosphère… tout en étant à l’affut du rugissement d’une sirène, …d’un moteur…qui, à tout moment pourrait résonner au loin…
Tout à coup les voilà !
Lancée à pleine vitesse, Une moto de la gendarmerie ouvre «le bal» , les silhouettes des tractions noires et leur inscriptions «  FFI » blanches se découvrent et s’arrêtent à notre niveau.
Nos cœurs commencent à battre de plus en plus fort, « ça y est…on y est !!! »
Laisse place à la ligne impressionnante de jeeps, camions, et tous leurs attirails quasi interminable.
L’organisation est militaire, nous nous plaçons au milieu de ce convoi et débutons notre défilé.
Le public se dévoile dans la ligne droite de Montcenis et se fait de plus en plus dense.
La traversée est joyeuse, nous nous retournons, des femmes et des hommes costumés, des militaires, des infirmières, … sont descendus des véhicules…
Près de moi, une jeune femme portant un grand manteau et des lunettes de soleil mâchouillant son chewing-gum, offre cette gourmandise pour le plus grand bonheur des petits…
Nous nous rendons compte que nous sommes en train de vivre un moment unique !
Les commerçants du village, comme La fleuriste, la bouchère puis le buraliste nous reconnaisse, certains viennent à notre rencontre, les yeux larmoyant et sourire aux lèvres, nous félicitent tellement nous sommes beaux…
Devant le monument au Mort, le discours poignant de l’adjointe au maire pour ne Jamais oublier ceux qui se sont battus pour notre liberté, comme le jeune Lucien Chazal, 16 ans, nous replonge dans une triste réalité.
Remis peu à peu de nos émotions, nous voilà parti en quête de tout autres surprenants libérateurs que nous ne connaissons encore pas…
Il faut rejoindre à tout pris la ville, située en contrebas à trois kilomètres ...
Benoît prend place dans un camion Dogde conduit par un joli gaillard blondinet dont le style capillaire ne passe pas inaperçu...
Quant à moi, Le nounours aviateur de la jeep N°53 me fait de l’œil… je tente ma chance auprès de ses propriétaires...et sans hésiter, m’installent à l’arrière, calée confortablement entre 2 caisses à munition !
Après avoir gouttés à notre 1er bain de foule de chaque côté de la route autour de la Mairie, nous descendons la route de Montcenis ... Direction Le Creusot !
En ville, Le public est présent et l’accueil chaleureux, nous passons devant la place Schneider, que j’ai l’impression de découvrir... et pourtant… je la connais par cœur !
Le passage sous le porche du Château de la Verrerie et sa magnifique cour en pavés, laissent quasi sans voix mon conducteur et sa passagère.
L’arrêt au stand à sonné mais le spectacle lui …continu…
Le ciel pommelé aux tons orangers fait ressortir par dizaines les bolides verdâtres, le reflet des vitraux rougeâtres de l’église de la place Schneider, en arrière-plan du noir profond des tractions est aussi éblouissant qu’un coucher de soleil.
Le spectacle est saisissant, et ne dure que quelques instants… pour le plus grand bonheur des photographes.
Nous nous prenons au jeu des journalistes qui viennent à notre rencontre et nous posons même en compagnie de Mr Maire et sa première adjointe.
La soirée s’achève enfin…, il faut être en forme car une grande journée nous attend demain :
« Nous libérons le Creusot ! »
 
Samedi 07 septembre .. 08h30 … Le débrif ‘matinale de François nous plonge dans l’ambiance, et nous gagnons nos véhicules.
09h30… les moteurs se mettent en route, de vieilles motos nous ont rejoint
En file indienne, nous sortons de la cour presque comme des rois… sous les cloches retentissantes de l’église Saint Laurent, qui se dresse avec bienveillance à notre gauche…
Mais quelle chance et quelle fierté d’être là !
Les drapeaux tricolores flottant avec la petite bise matinale sur les lampadaires dans la descente de la rue Leclerc nous accueillent à bras ouvert.
Je me lève pour profiter du spectacle. Une foule heureuse de Creusotins en liesse regroupés de l’Alto jusqu’au Monument aux Morts nous attends.
Les saluts sont partout, jusqu’aux fenêtres des appartements rue Foch, sous les sons des cloches de l’église Saint Charles, cette fois…
Notre traversée s’achève place de L’école Guynemer, en face de l’église Saint Eugène, qui elle, sans surprise, résonne aussi.
Nous échangeons quelques anecdotes avec des anciens venus nous raconter ce qu’ils ont vécus, nous partageons des moments simples… qu’ils leur ont tant manqué pendant ces années sombres…
Un homme originaire de Saint Leger accompagné de sa femme, s’ avance vers Benoît et raconte :
«  6 ans…en pointant son doigt sur front.. C’est là »
« Je croyais rêver à l’arrivée des Jeeps et des chars, c’est la 1ère fois que je voyais des hommes noirs…, quand ils m’ont fait descendre de leurs chars et qu’ils m’ont lâché la main, je l’ai retournée pour la regarder, avec stupéfaction ..elle était toujours blanche...»
 
De mon côté, Je raconte avec ferté, le combat héroïque d’un membre de la famille du coté de mon grand-père paternel…
Résistant maquisard dans l’Ain, contacté par Charles Schneider, en hiver 43, il mène avec 4 autres compatriotes une opération de sabotage dans le parc électrique à Saint Laurent d’Andenay pour mettre à l’arrêt les usines du Creusot . Sur la route, au lieu dit « La Galoche », leur rencontre avec les ennemis sera fatale pour 3 d’entres-eux. Le chauffeur du commando « Brun » sera gravement blessé et exhibé à mort sur la place public de Montchanin….
Les 2 autres résistants, Le « Noach » et « Sixdenier », mon ancêtre, seront roués de coup de cross, kidnappés, torturés, emprisonnés puis fusillés à Dijon.
Les 2 derniers survivants qui avaient réussis à s’extirper à temps du véhicule et profitant de l’ acharnement des boches sur leur malheureux camarades, mèneront jusqu’au bout en Mars 44 l’opération ratée 4 mois plus tôt, et éviteront un 3ème bombardement sur la ville du Creusot tant redouté.
Une stèle leur est dédiée.
Notre aventure aurait dut s’arrêter là ... Mais la gentillesse et l’engouement de la colonne de la libération en a décidé autrement !!!
Partons direction Givry !
Je suis aux anges car nous allons passer aux «Baudots », petit hameau de mon enfance ou habite encore mon père.
Nous descendons « la Beaujarde » , avant de longer le canal du Centre. Là encore, le public est présent pour nous faire honneur.
L’ambiance sur le parcours est enfantin, des bonbons, carambars et Chamalows, volent au-dessus des véhicules, les plus téméraires s’arrêtent mêmes les ramasser.
Au passage de l’écluse à Ecuisses, les premiers véhicules du cortège s’amusent à nous saluer, une séparation de courte durée pour mieux se retrouver…   Des vrais gamins !
Nous arrivons et traversons la ligne droite des « Baudots », mes proches impatients sont là…
La descente et les lacets des bois de la « Vesvre » offre une vision lointaine presque irréaliste d’une chenille interminable aux allures rigolotes, qu’on se croirait presque dans une Bd…
Nous arrivons même à apercevoir les Gyrophares bleus de nos protecteurs présents depuis le 1er jour en tête de cortège.
Dans les campagnes environnantes, les vaches effrayées par le bruit des moteurs, préfèrent courir et se regrouper, tandis que les taureaux nous surveillent avec insistance…
Nous arrivons à Givry où la foule est encore plus nombreuse!
Nous passons sous le porche de l’horloge pour rejoindre la place d’Armes où se dresse un grand sapin décoré de fanions et de boules de couleurs bleu, blanc rouge pour l’évènement.
L’orage vient presque gâcher la fête.
En repartant, devant la maison de retraite, « nos vrais héros et combattants » nous attendent aux fenêtres, en agitant un chiffre « 80 » qu’ils ont créé avec soin pour l’occasion.
Leurs sourires sont contagieux, et ne manquons pas de les ovationner comme il se doit. 
Nous voilà parti pour une autre aventure… nous espérons fausser compagnie à ce monstre du ciel qui se prépare sérieusement…
 
La traversée de « Fontaine » et l’arrivée à « Rully » se fait sous un orage dantesque, mais il faut rouler et ne pas s’arrêter… alors nous nous protégeons comme nous pouvons avec un morceau de bâche que j’arrive à peine à maintenir tendu...mais c’est toujours ça … !
Nous arrivons soulagés, entiers…mais trempés !
Fort heureusement, nous pouvons compter sur la chaleur du bal populaire qui se prépare, où plusieurs rullyotins et rullyotines nous attendent parapluie à la main, parés de leurs plus belles tenues…
Mais la « star de la soirée » c’est elle…
Une petite dame aux cheveux grisonnants rentre dans la salle, une pancarte a la main
« J’avais 10 ans ».
Sa phrase résonne encore dans ma tête et j’en ai encore des frissons :
« Les 3 soldats allemands que l’on hébergeait étaient pourtant gentils avec nous…Mais qu’est-ce que je leur en ai voulu … »
La soirée se poursuit par des musiques entraînantes où je ne manque pas de faire quelques pas de rock, certes décousus avec des danseurs militaires aguerris mais sans oublier l’essentiel : rire et s’amuser !
Au moment de partir, Francois s’avance et nous demande de venir les rejoindre le lendemain pour terminer l’aventure à Autun : nous avons donc une nuit pour faire sécher nos vêtements !
Au petit matin, nous arrivons dans un brouillard à couper au couteau au-dessus du théâtre Romain que nous arrivons à peine à apercevoir.
A l’arrivée du convoi, je retrouve la jeep n°53 de Jean François et Marie Laure.
Ornée de branchages à tout va et de feuilles encore perlées par la rosée du matin, on se croyait dans le maquis !
Les occupants des 4 jeeps «la 51ème colonne » qu’ils ont nommés pour l’évènement…, sont guillerets et portent encore quelques traces de la veille, après avoir sans doute, un peu trop goutté au bon vin bourguignon et à « la Madeleine ».
La journée s’annonce prometteuse !
Benoit trouve même une place à l’arrière de la jeep N° 52 de Daniel.
Fabrice, Son passager, lunettes de soleil, et cigare à la « top gun » est irrésistible et porte encore sur sa joue, la trace d’un doux baiser volé …
Trêve de plaisanterie, l’appel « le soleil brillera 2 fois » de Jean-Do annonce un départ imminent et nous tardons pas à repartir pour rejoindre une foule impressionnante d’autunois.
La traversée le long de la place du lycée militaire se fait dans un brouillard qui peine à partir mais le soleil en contrebas, n’est pas très loin et réchauffe déjà la place de la mairie et sublime les dorures de l’hôtel de ville.
La descente de la ville jusqu’à la place du « Champs de mars » parée de toutes ces couleurs formées par les différents bataillons reconnaissables à leurs costumes, se fait sous des longs et inlassables applaudissements.
Le moment est solennel et envahie par l’émotion, je leur lance « les héros du jour c’est vous …Bravo ! »
La matinée se termine par des photos de groupe, fredonnons même une marseillaise improvisée, et bientôt c’est l’heure des adieux… Ou plutôt des Au Revoir...
Notre aventure s'arrête ici, sur cette place... 
Je savoure ces derniers instants … les sirènes des véhicules se mettent à hurler à l’unisson…
Je suis bouleversée…   Je n’arrive pas à m’arrêter de pleurer, mais je me laisse aller…
Nous partons et passons devant la foule que nous saluons une dernière fois, fermons cette parenthèse enchantée, pour enfin et pour toujours, goûter à cette liberté retrouvée ...
 
Carole SEIGNEURBIEUX, née SIXDENIER

Lettre rédigée sur papier récupéré dans un cahier d’écolier des Ecoles Schneider du Creusot en 1942
 

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Robert ARON