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> Vie locale > LE CREUSOT
26/03/2021 16:30
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LE CREUSOT : Il y a 150 ans le drapeau rouge de la commune était hissé sur la Mairie, à l'initiative de Jean-Baptiste Dumay

Un hommage a été rendu ce vendredi, à cet «anti - Schneider»
Ainsi que cela avait été annoncé, un homme a donc été rendu à Jean-Baptiste Dumay, ce vendredi 26 mars, à l'entrée du cimetière Saint-Laurent, où une stèle est érigée en sa mémoire. On a compté une petite quarantaine de personnes présentes, dont Camille Dufour, maire honoraire du Creusot.
«La section locale de la Ligue des droits de l’Homme a souhaité parler publiquement de Jean-Baptiste Dumay, non pour exercer une quelconque récupération, anachronique et déplacée, mais pour faire valoir l’importance et la qualité de ce militant ouvrier engagé pour l’affirmation des droits, des libertés, de la justice et de la république sociale, ces combats menés au sein du mouvement ouvrier dont nous sommes à la fois les héritiers et les gardiens.

Faute de pouvoir résumer, au risque de les trahir, les « Souvenirs d’un militant ouvrier », j’ai pris le parti de vous proposer la lettre que j’aurais aimé écrire à Jean-Baptiste Dumay à titre d’hommage, au sujet de la proclamation de la Commune, ici au Creusot», a expliqué Françoise Bouchet avant de lire la lettre qu'elle a écrite (lire ci-dessous).
Après ce voyage dans l'histoire, Jérémy Pinto, qui remplaçait le Maire David Marti, excusé, a fait une courte allocution pour souligner combien Jean-Baptiste Dumay compte dans l'histoire de la ville. «La commune du Creusot fût brève, mais elle portait le même idéal que Paris», a dit l'adjoint à la culture, mettant en-avant les graines semées par Jean-Baptiste Dumay, notamment pour ce qui concerne les avancées sociales, l'école laïque, la séparation de l'église et de l'Etat, ou encore les droits des femmes.
«La commune c'était une pratique horizontale de la décision», a encore dit Jérémy Pinto, au sujet de celui qui a été «le premier maire ouvrier républicain du Creusot». Il parla encore de l'idéal républicain, qu'il convient de remettre au centre dans la période que nous vivons».
A.B.

Lettre à Jean-Baptiste Dumay :
«Monsieur,
Une lettre pour exprimer, à partir de ce que nous savons de vous grâce à vos « Souvenirs d’un militant ouvrier », aux travaux des historiens et au prisme de l’expérience militante, ce que nous vous devons, à vous, l’ouvrier tourneur sur métaux de l’Usine Schneider, qui fit trembler l’édifice local et avez inscrit la ville dans le mouvement révolutionnaire de la Commune, le 26 mars 1871.
Une lettre pour vous exprimer l’admiration et le respect ressentis face à une personnalité comme la vôtre, qui sut désobéir, se montrer au sens fort un insoumis, au mépris du moindre confort personnel et familial, sans aucun souci de carriérisme mais avec un sens de l’altruisme et des convictions d’une extrême importance.
Contre la légende noire, comme de la légende dorée de la Commune, et face à toutes les inquiétudes, tous les débats que suscitent la révolte, l’insurrection, la révolution, je tiens à dire combien votre parcours de militant est impressionnant, combien il a encore de validité un siècle et demi plus tard, combien je tiens à saluer ce qui m’apparaît comme votre rectitude et votre droiture militantes.
Âgé d’à peine trente ans, vous étiez alors le maire du Creusot, nommé à ce poste provisoirement par le nouveau régime républicain le 24 septembre 1870, à la place d’Eugène Ier Schneider, mais sans renouvellement des autres membres de l’administration municipale, ce qui vous causa bien des difficultés.
Et, à ce poste, vous inscrivez notre ville dans le sillage parisien, celui du refus des décisions d’Adolphe Thiers devenu chef du gouvernement et décidez, en comptant sur l’appui de la Garde nationale creusotine et du réseau de militants républicains qui vous soutiennent, d’affirmer face au militaire chargé du maintien de l’ordre et de la répression de la révolte :
« La population républicaine du Creusot, comme celle de toutes les grandes villes de France, manifeste son indignation contre le gouvernement de Versailles qui se fait le complice des conspirateurs monarchistes en laissant s’ériger en Constituante une Assemblée qui […] n’a été élue que pour décider de la paix ou de la guerre. Elle a fait une paix honteuse mais elle en avait le droit. En refusant de se dissoudre après sa besogne faite, cette assemblée se met en état d’insurrection contre la Nation, et nous, à notre tour, nous nous insurgeons contre elle et contre le gouvernement qui en est issu. Nous proclamons donc l’indépendance de la commune du Creusot »…
Ce à quoi le commandant objecta : « Vos revendications ne sont pas de ma compétence mais, commandant de la place, je ne puis tolérer aucune manifestation avec le drapeau rouge »
Réponse de Jean-Baptiste Dumay : « Le drapeau tricolore est resté à Sedan, livré par Napoléon III à son ami le roi de Prusse. Voilà pourquoi nous manifestons avec le drapeau rouge, le vrai drapeau du peuple ».
Loyauté, loyalisme fondamental à la République et défense inconditionnelle du « vrai drapeau du peuple », l’étendard rouge, absolument proscrit ici, au Creusot.
On connaît l’ambivalence du drapeau rouge, ses dangers et ses drames mais pour vous, Monsieur Dumay, en 1870-1871, dans ce contexte de « l’année terrible » évoquée par Victor Hugo, il n’y a pas de doute : vous avez à cœur et comme programme de revendiquer la république sociale, la mise en place de droits effectifs, universels et indivisibles, la fin des injustices et donc d’obtenir pour « Le Peuple d’en bas », toutes les garanties d’une vie meilleure.
Vous apparaissez comme l’anti-Schneider par excellence dans vos combats qui ont pu, peuvent encore apparaître, sans nuances et fort manichéens contre « l’Empereur de France et l’Empereur du Creusot » comme vous l’écrivez, contre le « bagne industriel », le « fief capitaliste ».
Mais vous avez fait l’expérience précoce de l’injustice :
Dans votre histoire personnelle : né en 1841, ici au Creusot, cinq ans après l’arrivée des frères Schneider, vous êtes le fils posthume d’un ouvrier mineur tué dans un accident de l’exploitation charbonnière ; ceci a déterminé votre révolte contre les conditions de travail, consolidée par ce que vous avez vécu directement du monde de l’usine, dès votre apprentissage dans les années 1854-1859 :
« Plus je lisais, plus je prenais en haine le système de l’exploitation de l’enfance dont je me voyais la victime   […] Je voyais chaque jour dans cette usine, tant d’injustices, tant d’arbitraire, par une administration omnipotente obéie par une masse moutonnière terrorisée, espionnée dans sa vie privée comme dans les questions d’opinion publique, que j’en avais pris contre elle une haine d’autant plus forte que je me voyais plus impuissant ».
Et vous avez, bien sûr, élargi votre indignation personnelle au combat collectif et politique au sein du mouvement socialiste naissant, en vous inscrivant dans les réseaux, en étant soutenu par d’autres militants engagés dans l’Internationale, en organisant localement un contre pouvoir : dès 1868, vous avez organisé un Cercle d’Etudes sociales, soutenu en 1869 un candidat opposé à Eugène Schneider lors des élections municipales.
Et vous n’étiez pas seul dans l’opposition locale : les ouvriers avaient, par deux fois, défié l’usine en déclenchant des grèves en janvier et mars 1870, mouvement durement réprimés, auxquels vous n’avez pu participer puisque vous étiez malade mais que vous avez dû évidemment soutenir et accompagner par la pensée.
Ensuite, vous menez campagne au printemps 1870 contre le plébiscite impérial demandant d’approuver les évolutions libérales du régime, faisant ainsi du Creusot l’une des rares villes à voter majoritairement Non à l’Empereur, donc aussi à Eugène Ier Schneider alors président du Corps Législatif.
En organisant aussi le 15 juillet 1870 une manifestation contre la guerre entre la France et la Prusse qui fit évidemment scandale.
Et le Second Empire prit fin avec la capitulation de l’armée à Sedan, et la république fut proclamée.
Les nouvelles autorités reconnurent que vous étiez l’homme de la situation, ayant prouvé vos qualités : le nouveau préfet de Saône-et-Loire, Frédéric Morin, vous nomme maire provisoire en écrivant ceci : vous êtes jugé « utile à la démocratie » et nommé responsable de la ville du Creusot « au nom des intérêts de la France et de la République », à un moment où Eugène Schneider s’était exilé en Angleterre…
Nous ne pouvons que rendre hommage au courage et à la détermination qui vous animaient : lorsque vous protestiez, le droit de grève avait bien été accordé en 1864 mais la répression des mouvements était confiée à l’armée et elle était d’une grande dureté. Il n’y avait pas de liberté de la presse, pas de liberté syndicale, pas de liberté d’association, les élections étaient sous contrôle. Donc toute insoumission était synonyme d’illégalité et réglée par le renvoi de l’usine avec, bien sûr, mention sur le livret ouvrier, ce qui empêchait presque toujours les possibilités de retrouver un emploi.
Vous avez fait, Monsieur Dumay l’expérience de tout cela, du renvoi de l’usine, du bannissement, de l’exil, de la condamnation aux travaux forcés, de l’extrême précarité de l’existence, précisément en raison de votre insoumission. Et vous n’avez jamais lâché ou abandonné vos convictions, poursuivant à Paris, malgré déceptions, désillusions et difficultés multiples ce qui vous animait dans ce lieu, Le Creusot, où toute alternative politique avait été empêchée.
La Commune locale aura duré une seule journée, le 28 mars 1871.
Monsieur Dumay, vous avez été un Résistant, défenseur des sans voix, de la devise républicaine, et cela justifie l’hommage que nous vous devons et que nous vous rendons aujourd’hui, le 26 mars 2021».
Françoise Bouchet
Pour la section Ligue des droits de l’Homme Le Creusot