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18/03/2022 03:17
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James Thierrée : «Je me sens comme à la maison, quand je viens à L'arc au Creusot»

«Oui on peut le dire, L’arc Le Creusot est un joyau...»,  «Je vois la boite du théâtre comme une boite à pulsions ou à mouvements»...
Il se produira Vendredi et Samedi 18 et 19 mars sur la scène nationale de L'arc, c'est avec gentillesse que James Thierrée s'est confié lors d'une longue interview à creusot-infos. Une sorte de mise en bouche avant de découvrir "Room", dont la première en France est au Creusot.

Room, c’est quoi ?
JAMES THIERREE :«Room c’est un thème extrêmement ouvert. Quand on dit « room » en anglais c’est l’espace qu’on prend et pas seulement la chambre. C’est aussi comme un espace dont on a besoin.
Si on dit « Give me a room » ça veut dire donne moi la place. Room c’est un lieu, c’est une pièce qui se métamorphose constamment durant le spectacle. C’est comme si elle était le personnage principal du spectacle. C’est une chambre émouvante qui a ses propres fantômes et ses propres désirs.
C’est comme une caisse de résonance  pour des émotions diverses. Il n’y a pas de fil narratif dans ce spectacle, il y a ce sujet qui est cette chambre et le sujet du personnage que j’incarne qui est quelque part son dompteur. Mon personnage cherche à retrouver cette chambre ou à la configurer pour qu’elle prenne sa place.
C’est comme lorsque nous sommes dans nos rêves, dans des lieux sans fin en ouvrant des portes qui nous amènent à des pièces ou à des personnages. Room c’est un peu cette chambre des rêves. Il y a une forme de liberté artistique et théâtrale très forte que je voulais prendre avec ce projet.
Se dire de lâcher prise et quitter la nécessité de comprendre le pourquoi du comment. Divagons ensemble 1h30/2h dans ce plaisir qui est d’être au théâtre.
Avant que le covid arrive ce projet se voulait déjà comme une forme de respiration artistique. Le sens n’est pas l’objectif premier, on recherche surtout une émotion brut».

Y a-t-il un lien entre Mo’s, que vous avez présenté au public Creusotin en septembre dernier, et Room ?
«Oui ! Mo’s était comme un bébé issu du Covid. Room a été reporté d’un an à cause de la fermeture des théâtres, durant cette attente j’ai dit aux musiciens « Allez, on fait un autre projet en attendant, purement musical. »
Ce projet c’était de la musique face au public avec un peu de folie. C’était une sorte de concert dévié. Cependant on gardait cette idée de continuer à faire jaillir et à remuer ce que nous avions travaillé en amont.
Ils ont un cousinage ça c’est sûr mais ce ne sont pas les même musiques et il y a vraiment une dimension visuelle et physique qu’il y a dans Room et qu’il n’y avait pas particulièrement dans Mo’s. Disons que ce sont deux personnages de projet qui naviguent un petit peu cote-à-cote.
C’était très dur ces deux dernières années, pour se dire que nous avions encore une mission en tant qu'artiste. Dans Room il y a une forme d’élan artistique physique assez brut. Le temps de raconter des histoires viendra ensuite, il fallait déjà revenir au coeur».

Room va faire une tournée internationale, vous passerez par l'Écosse, l'Autriche, l'Italie ou encore l'Australie. Alors pourquoi Le Creusot qui plus est pour la première en France ?
«J’ai un lien très ancien avec Le Creusot et avec L’arc en particulier. On est a 60 km du lieu où ma compagnie réside. On est très souvent associé à ici, L’arc m’aime et me soutient ce qui me permet de répéter nos mouvements scéniques dans les premiers stade de la création.
Donc c’est comme un parrain ou une marraine bienveillante. Je me sens comme chez moi ici. Venir ici faire notre première française c’est naturel et c’est aussi une façon de dire « Vous voyez, c’est pour ça qu’on travaillait et c’est pour ça que nous nous sommes installé ici ».
J’ai des souvenirs d’être seul dans ce théâtre avec deux techniciens en plateau et de pratiquement avoir les clefs. On referme la porte en sortant et on éteint la lumière. J’ai vraiment beaucoup d’affection pour cet endroit».

Vous avez l'occasion de voir des salles partout dans le monde, Le Creusot est une petite ville, c'est une chance d'avoir L’arc ici ?
«L’arc au Creusot, c’est quand même une très belle salle, c’est un beau plateau, une scène nationale. L’arc c’est une puissance de feu, un chaudron essentiel pour qu’il se passe des choses dans une ville qui ne soit pas que économique ou industrielle.
Je ne compare jamais les théâtres. Que nous jouons à Londres, New-York, Paris ou Le Creusot; c’est le rapport avec le public. Vous savez, on peut jouer dans une capitale et avoir un public plutôt froid et ressentir une vraie chaleur avec le public Creusotin. Oui on peut le dire, L’arc Le Creusot est un joyau.
Le théâtre est un temple. Il est à mes yeux plus intéressant qu’un temple religieux car aucune violence n’a été commise au nom de ce temple là. La seule idéologie que prône le théâtre est l’ouverture d’esprit. C’est un lieu de grand questionnement humain et même après 35/40 ans de métier j’ai toujours l’impression d’être dans un lieu sacré et de chercher une incantation magique».

Comment vous décrivez-vous artistiquement ?
«Je suis un peu une sorte de carrefour artistique. C’est aussi quelque chose que je revendique sur les différentes influences qui constituent mon langage théâtral. C’est sa faiblesse et sa force.
Disons que je suis pas une seule chose, je ne fais pas que du théâtre ni que de la danse ou du cirque. Il y a cette envie de rassembler et d’utiliser une forme de dispersion qui a été par mon éducation.
Mes parents étaient déjà eux-même des expérimentateurs de mélange théâtraux. Moi je continue cette tradition d’utiliser tous les leviers possible pour provoquer l’émotion ou un sentiment. Je pense que je suis plus un orchestrateur de sentiments qu’un dramaturge ou qu’un metteur en scène.
Je vois la boite du théâtre comme une boite à pulsions ou à mouvements. Que ce soit mouvement physique ou mouvement émotionnel. C’est pour ça que je prends une grande liberté, peut-être trop parfois, à m’affranchir d’un des grands sujets du théâtre qui est l’écriture, la trame narrative.
Ceci n’est pas mon endroit. C’est comme si j’agis sur une autre partie du cerveau ou du corps du spectateur. Je ne cherche pas à agir dans le lobe frontal avec tout ce qui est réflexion et compréhension. Je préfère agir dans la partie inconsciente, dans ce qui nous échappe, dans la partie primaire, bestiale ou émotionnelle pure. Je trouve ça intéressant que chacun ait son rôle à jouer au théâtre et le mien est plutôt à cet endroit là.
Dans Room il y a quand même les mots qui sont là pour la première fois. D’habitude je ne les utilise pas du tout dans mes spectacles mais ils se trouvent placés automatiquement dans les chansons. Ils restent là dans des thèmes très ouverts et en anglais. Il y a une chanson sur Room, sur les sensations, sur le fait de croire encore en nous».

Vous faites rêver petits et grands, que diriez vous à un jeune qui rêve de travailler dans le monde du spectacle mais qui n'ose pas ?
«J’aurais envie de dire que la recette est à la fois très simple et très compliquée. N’importe quelle petite chose qui nous constitue et qui ne concerne que nous. Qui ne concerne que ce jeune qui se dit « Je ne pourrai pas » ou encore « Il faudrait que j’intègre des écoles ».
Alors oui il y a l’apprentissage académique, mais il y a aussi cette petite chose qui nous constitue et qui est unique, une sorte d’ADN de fibre artistique qui est la clef de la réussite. Il n’y a pas de formule magique, la seule que je connais est : Il faut faire grandir au plus fort ce qu’il y a en nous. Il ne faut surtout pas chercher à effacer son instinct ou son ressenti, pour essayer de rejoindre une idée de ce qui serait attendu de la part d’un acteur ou d’un artiste.
La petite chose presque honteuse que l’on a en nous, celle qui est fragile et qu’on pense être ridicule, même une petite blessure qui reste vive : Cela devient le coeur et la source essentielle de l’artiste.
La formule c'est de chérir cette fragilité, cette faille, cette particularité qui fait qu’on ne ressemble à personne d’autre et essayer de la porter à travers une oeuvre.
Le public reconnait la vibration personnelle de l’artiste et tout le monde a besoin de ressentir celle-ci qui est la plus précieuse plutôt que des images prémâchées ou des idées marketing. Ce n’est certes pas une mince affaire mais ça n’est pas impossible du tout».
Recueilli par Manon Bollery
©Photos Manon Bollery