L'artiste mondialement connu se confie dans une interview à creusot-infos avant sa venue à Chalon-sur-Saône. Extraits : (…) «Pour moi le public c’est le spectacle» (…) ; «L’arrivée au monde de ce spectacle a été très rocambolesque» (…)
Le 18 mars dernier, le célèbre comédien James Thierrée présentait avec la compagnie du Hanneton son spectacle "Room" sur la scène nationale de L'arc. Rappelons que ce jour-ci au Creusot fut la première en France pour ce spectacle. Après quasiment 7 mois de tournée à travers l'Europe, la compagnie du Hanneton posera ses valises à l'espace des arts de Chalon-sur-Saône et jouera "Room" les 4, 5, 7 et 8 octobre 2022.
À cette occasion, James Thierrée s'est confié dans une interview à creusot-infos.
Comment allez-vous ?
JAMES THIERRÉE : «Écoutez là je suis dans le Morvan, dans mon Morvan avec une magnifique vue alors je vais très bien. Je sens la rentrée qui arrive, je sens Paris et l’angoisse sous-jacente de ses habitants qui va remonter. Je sens qu’elle arrive mais je prends des forces ici pour affronter tout ça et repartir sur les routes avec Room et Mo’s».
Vous venez pour la deuxième fois en Bourgogne pour jouer Room, tout cela au milieu d’une tournée internationale, vous aimez vraiment notre région ?
«Oui… Oui car c’est la région où j’ai grandi en partie. J’ai des racines ici. Je viens d’une famille qui est nomade et qui bougeait beaucoup mais la base c’était ici, c’était le Morvan. C’est ici qu’on revenait avec le Cirque imaginaire et le Cirque Bonjour, avec les caravanes, avec le chapiteau… Il y a toujours cette sensation de revenir à la maison. J’ai une histoire avec Chalon et j’ai une histoire avec le Creusot.
Chalon c’est la première ville où j’ai présenté mon premier spectacle. À l’époque c’est Jean-Marc Grangier qui était directeur de l’espace des arts et qui m’avait aidé en m’offrant un endroit de répétition à Louhans. Pour vous dire, nous avions répété mon premier spectacle dans une grange. La première était à Stockholm mais les premières dates en France c’était à Chalon-sur-Saône.
Au Creusot il y a un lien avec les créations. Je vais souvent explorer et tester des décors au théâtre. Du coup c’est vrai que c’est particulier ce lien que j’ai avec le coin».
Comment vous vivez cette tournée XXL ?
«Là nous avons terminé un premier chapitre fin juin. C’était un gros chapitre car nous avions enchainé la création qui a été très compliquée à cause du Covid. Nous avons répété en décembre à Genève et ensuite nous avons enchainé de janvier à juin en tournée. C’était très intense car il n’y a pas eu d’air entre la création et la tournée. C’était non-stop avec une sensation de plongée et de rencontre avec le public en flux continu de zéro à mille.
Cet été nous avons fait un festival en Écosse, à Édimbourg. Maintenant nous partons à Rome puis nous venons à Chalon. C’est un peu plus espacé et ça me permet de mieux voir le spectacle. Comme je suis à l’intérieur du spectacle il me faut un certain temps pour comprendre exactement ce que j’ai fabriqué…
Maintenant c’est la fin de l’enfance et nous entrons dans le deuxième âge de ce spectacle. Il va, je l’espère, prendre une autre couche de maturité. Il est très particulier car il s’échappe à lui-même. Il ne veut pas être raconté. Je le dis beaucoup d’ailleurs dans le spectacle, il n’y a pas de sens à chercher. C’est une chambre un peu à l’envers, une chambre qui s’échappe, une chambre qui se reconstruit mais qui est évanescente. Le show est un peu comme ça. Je voulais quelque chose d’un peu chaotique, fuyant et aussi festif. Fuyant comme quelqu’un qui ne veut pas être nommé par peur de ne plus être sauvage ou libre. Quand on n’a pas de nom ou de description on est très libre et c’est peut-être un fantasme que j’ai d’être en page blanche et de l’inscrire dans l’ADN du spectacle même. Mais même dans cet ADN qui refuse d’être nommé, il y a quand même après cette pause de l’été des choses qui remontent que je vais travailler avec l’équipe pour la reprise de tournée, pour peut-être ramener une identité un petit peu plus assumée. C’est un équilibre délicat à trouver».
Room est une sorte de chambre des rêves, le monde des rêves est une sorte de monde de tous les possibles. Est-ce que vous aviez le besoin d’avoir un espace de liberté après la période compliquée où nous étions un peu tous enfermés ?
«C’est la chambre des rêves ou le rêve d’une chambre. Ou quelqu’un qui rêve d’une chambre ou une chambre qui rêve de quelqu’un…
C’est sûr que ce show a été impacté, il a trouvé sa force et sa sensibilité dans la période c’est évident. Ceci dit, il a été imaginé un peu avant la période compliquée que nous avons traversé. Étrangement il était déjà très rattaché à une idée de faire tomber les murs, de respirer, de ne pas être confiné. C’est quelque chose qui était déjà dans les réunions de scénographie, qui était déjà écrit partout : « Ils sont confinés » ; « Ils cassent les murs » ; « La chambre respire »
Il y avait déjà beaucoup de choses qui étaient très troublantes par rapport à l’épidémie qui arrivait quelques mois plus tard.
Quand on commençait littéralement les répétitions, c’était le premier confinement. On arrivait tous dans le Morvan pour répéter et le soir même de notre arrivée, on annonçait le premier confinement.
J’ai l’impression que le spectacle a déjà plusieurs vies puisqu’il a commencé, s’est arrêté. Après le premier confinement on a repris les répétitions puis on s’est à nouveau arrêté parce que nous avons attrapé le covid dans la compagnie. Après, ce sont les théâtres qui étaient fermés alors nous avons repoussé d’un an. Et entre temps j’ai créé Mo’s, le concert qui était une manière aussi de ne pas s’arrêter, de ne pas juste s’enfoncer dans l’immobilité et de réagir un petit peu.
Ensuite après avoir mis en place ce concert qui était une manière de garder le lien avec les artistes, avec les musiciens, etc.. Nous avons repris les répétitions de Room. Tout ça pour dire que juste l’arrivée au monde de ce spectacle a été très rocambolesque. Je trouve que c’est une force parce qu’il aurait pu ne pas être là. C’est quand même un grand spectacle, un gros spectacle compliqué à mettre en place au moment où tout s’effondre partout».
Est-ce que la situation mondiale actuelle vous inquiète et est-ce que vous pensez qu’elle puisse avoir des conséquences jusque dans les théâtres ?
«Elle en a déjà. Après cette première tournée où nous avons fait une bonne soixantaine de date jusqu’en juin : tous les théâtres ont eu une année très compliquée. Les gens ne sont pas tous revenus, partout les jauges sont difficiles à remplir. Je discute avec des directeurs et directrices de théâtre un peu partout et c’est à chaque fois le même discours. À Edimbourg aussi ils avaient du mal à remplir. C’est compliqué, les gens se sont habitués à rester chez eux. Peut-être qu’inconsciemment ils ont l’impression que c’est un lieu dangereux, un lieu fragile… Mais oui de toute façon le monde va mal mais soyons fou et essayons d’imaginer.
Un jour un spectateur est venu me voir et m’a dit « C’est comme un chaos positif votre spectacle. », et j’aimais bien cette idée là. Il y a cette peur latente de tous, d’un monde qui n’offre pas beaucoup d’espoirs, de perspectives. Un monde où l’on se prépare à se défendre… Et nous au théâtre, je trouve que même si il est fragilisé aujourd’hui, c’est encore plus le lieu où l’on peut réinspirer les gens, où l’on peut faire faire remuer ce qui est lumineux dans l’humanité. Cette capacité que l’on a à imaginer, à rêver, à être fou mais des fous lumineux…
J’ai l’impression que c’est d’autant plus, et ça va revenir je l’espère, un lieu essentiel encore et toujours. Car c’est un lieu où on se retrouve physiquement, on n’est pas derrière des écrans, on n’est pas derrière des images de nous même soit disant très heureux sur Instagram. C’est la réalité, on se réunit dans ce lieu étrange qu’est un théâtre et on passe un moment ensemble à jouer avec des idées et avec nos pensées. Ça c’est de l’humain, c’est absolument essentiel. Je pense que les gens sont aussi très déprimés parce que la séparation qui arrive par les écrans, et je sais que c’est un peu un lieu commun ce que je dis, mais il y a vraiment un changement de société où l’on voit un enfermement individuel. Étrangement qui passe par l’idée d’aller encore mieux, d’être plus confortable, plus relier aux gens. Et bizarrement je pense que les gens sentent que c’est l’effet contraire qui est en train de se passer. On est relié à énormément de gens mais on ne les touche pas, on ne peut pas les voir, on ne les sent pas, on ne peut pas échanger notre humanité.
D’ailleurs il y a eu des études qui ont montré que l’un des effets les plus toxiques du COVID c’était d’être éloignés les uns des autres. À un moment j’ai vu une étude qui montrait que 70% de la population vivait dans un état d’angoisse, d’inquiétude ou de dépression. C’est quand même énorme…
Alors oui le spectacle c’est important, c’est vital. Il faut réinvestir cette idée que le théâtre n’est pas juste un lieu de divertissement. C’est important de jouer avec les idées et avec les rêves».
Les 4 dates de Chalon-Sur-Saône se remplissent à une très grande vitesse, comment vivez-vous cet amour que vous témoigne le public ?
«Pour moi ça c’est l’essentiel. Depuis le début c’est quelque chose qui m’a été transmis par mes parents et qui vient aussi du cirque. Le public, c’est tout.
C’est-à-dire que c’est le carburant absolu. Ce lien, ce désir renouvelé et l’impression de se retrouver avec les années. Ça fait maintenant presque 25 ans que j’ai monté cette Compagnie et pour moi, le public c’est mon oxygène. C’est évident que si je ne sentais plus cette complicité, ce sens des retrouvailles, cet enthousiasme et cette excitation, j’arrêterais. Je ne pourrai pas, je ne fais pas ce métier juste pour mon plaisir personnel…
On entend beaucoup d’artistes parler de LEUR plaisir, LEUR envie, moi ça passe absolument par le public. Oui tout ça, mais tout ça pour les gens en face, avec les gens, pour les sentir, pour les entendre. Pour moi le public c’est… C’est ça le spectacle.
D’ailleurs je les vois toujours comme un spectacle puisque je suis en face d’eux et pour moi le spectacle c’est le public. Surtout que dans Room je ne fais pas semblant qu’ils ne soient pas là donc je les vois, ils sont là. C’est comme un être à multi-têtes et magnifique. C’est une personne différente par soir. Si on imagine que le public est une personne c’est cette idée de complexité incroyable dans un public sur son humeur, sur ses réactions. C’est très mystérieux et moi je ne me lasse pas de ce mystère. Il y a les réactions, il y a les rires, mais il y a aussi des moments de silence, quelque chose ou pas qui se passe ce soir-là. Parfois il y a des états de grâce très forts où on sent que l’on est totalement réunis dans le même jeu et parfois un peu moins. Mais c’est cela que j’aime dans la relation avec mon public».
Propos recueillis par Manon Bollery
© Photo Manon Bollery