Ce n'est pas une légende, parfois ça chauffe fort et le ton monte haut dans les cuisines. C'est le lit de cette affaire qui a été jugée au Tribunal de Chalon sur Saône.
Un des témoins a parlé des claques, des coups de pied, des insultes, dit que « c’était pour motiver les troupes ». Un jeune apprenti, victime durant un an et demi de ces méthodes de « motivation », a fini par craquer complètement. « Les troupes » … le champ sémantique militaire trouve un écho dans certaines réponses du prévenu - « Affirmatif ! » - mais nous sommes en cuisine.
Ce vendredi 2 juin, l’ancien patron (il a changé d’activité depuis) d’un hôtel-restaurant situé dans la Région du Creusot est jugé pour harcèlement, d’août 2016 au 28 février 2018, et violence sans ITT. L’audience est longue parce que le prévenu discute tous les mots. « Je ne suis pas d’accord avec ‘des actes de violence’ », « non, non, pas de harcèlement ».
Le prévenu finit par convaincre tout le monde de sa mauvaise foi, au minimum
L’homme est né en 1968, a eu des enfants issus de deux unions. Il dit, oui, « corriger » son dernier fils. La présidente Verger l’interroge : qu’entend-il par « correction » ?
Il hésite puis répond « le dialogue ». Le dialogue est « une correction » ? Moue de la juge. C’est ainsi que le prévenu finit par convaincre tout le monde de sa mauvaise foi, au minimum. Il met du temps à répondre, répond souvent à côté ou renvoie son interlocuteur à ce qu’il vient de dire sans se mouiller.
Le procédé finit non seulement par fatiguer mais par convaincre que le prévenu se défausse, au point que la plaidoirie de presque une heure de son avocate n’y changera rien.
« Je vais t’en mettre une » - bruits de claque -, puis « abruti », « connard »
Le jeune en formation est entré en apprentissage dans ce restaurant en 2016, il avait 15 ans. Le 22 février 2018, il rentre chez ses parents, sa monture de lunettes est endommagée et il parle, enfin. Le jeune raconte des brimades, des coups derrière la tête, des coups de pied dans les fesses, souvent.
A bout, et pour qu’on le croie – « Je regretterai toute ma vie de ne pas avoir parlé plus tôt, dit-il au tribunal, mais la cuisine, pour moi, c’était un rêve » - il avait fini par enregistrer, début février, 23 minutes de « dialogue ». Le tribunal fait état de la transcription : « je vais t’en mettre une », bruits de claques, puis des injures « abruti », « connard », puis des brimades.
Le prévenu dit « Mouais », puis reconnaît, parce qu’il n’a pas le choix, que « ce jour-là », ok, il était « monté dans les tours », mais qu’il n’y a pas de harcèlement parce qu’il n’a pas eu l’intention de blesser.
« Qu’est-ce qui vous autorise à porter la main sur lui ? A le toucher ? »
Sur la question intentionnelle, le procureur rappellera que la caractérisation de cette infraction écarte la question intentionnelle et s’attache aux effets.
La présidente Verger, elle, recadre le prévenu. « On connaît l’exigence de ce milieu professionnel, mais qu’est-ce qui vous autorise à porter la main sur lui ? A le toucher ? »
Le tribunal évoque une tentative de suicide du jeune homme et le stress post-traumatique que relève l’expert psychiatre : n’y aurait-il pas un lien avec les conditions de travail dégradées du garçon ? Réponse : « C’est son jugement, je ne veux pas être complice de ça. »
Etrange réponse : « complice » … cela veut-il dire « responsable » ? On peut comprendre que cet homme ait du mal à se sentir responsable des conséquences désastreuses pour le jeune, de ses insultes, tapes, coups de pied, brimades, dévalorisations constantes. N’empêche que les juges voudraient qu’il en ait conscience. Le prévenu s’en défend et ça le dessert du début à la fin.
La défense plaide une relaxe
Il est évident que l’ancien maître de stage a mis au point son attitude à la barre car plusieurs de ses propos, opaques - « Je ne dis pas qu’il était moins bon que les autres, mais qu’il était très complexe dans le travail » -, sont éclairés lors de la plaidoirie de maître Mortier-Krasnicki : la victime est dyslexique.
Sur cette dyslexie qui ne sera nommée qu’à la fin de cette longue audience, le prévenu s’appuie pour répéter à la barre à quel point il n’avait jamais eu d’apprenti aussi « complexe ».
On a alors le sentiment, désagréable, d’assister au procès de la dyslexie – ainsi que de celui des « difficultés » de la victime, alors qu’à la base, il s’agit d’un problème simple : la violence, qu’elle soit physique ou psychologique, est interdite (qu’elle soit beaucoup exercée partout ne change rien au fait légal et ceci est vrai qu’on soit dyslexique ou qu’on ne le soit pas). Son avocate plaide une relaxe, et développe longtemps le point selon lequel si son client avait été averti de cette particularité, alors ça aurait tout changé.
« Bouc-émissaire »
Le parquet n’avait pas vu le rapport, lui. Charles Prost, vice-procureur, liste les éléments à charge, rappelle les termes de la loi et « le dépassement de l’exercice normal du pouvoir sur un salarié ». « Monsieur a agi dans un cadre délictuel, la victime était un bouc-émissaire. »
Le prévenu n’a pas de casier judiciaire, le magistrat requiert une peine de 4 mois de prison avec sursis et une amende de 200 euros.
« … et que ça puisse justifier des actes et des propos violents sur un adolescent ? »
Maître Leray qui intervenait pour la victime, n’avait pas vu le rapport non plus : « On a beaucoup joué sur les mots à cette audience, mais la violence est constituée.
Il a dit « des taquets », « des tapes », mais sur l’enregistrement on entend les bruits de gifles et des témoins en parlent aussi, c’est plié. » Sur la question du harcèlement : « Il existe dans tous les milieux professionnels, et ce n’est pas parce qu’on travaille dans la restauration qu’il devrait être admis. Monsieur recourt à des oxymores et des litotes. Les insultes sont « sans méchanceté », les tapes sont « pas violentes » … ça n’enlève rien à la matérialité des faits. »
Sur l’attitude du prévenu : « Il dénie toute responsabilité, mais quand on l’écoute deux minutes on entend bien sa position. » Sur les propos visant à mettre en cause les parents du jeune homme et à disqualifier le jeune homme (ainsi que des enseignants du CIFA de Mercurey) : « On va humilier toute la famille pour asseoir sa posture d’agresseur, et que ça puisse justifier des actes et des propos violents sur un adolescent de 15 ans ? »
Coupable
Finalement le tribunal lui-même ne voit pas le rapport entre une éventuelle difficulté d’apprentissage et des insultes méprisantes et disqualifiantes assorties de « taquets ».
Déclare le maître de stage coupable (de faits qui remontent à 5 ou 7 ans déjà, ndla) et le condamne pour harcèlement, à la peine de 6 mois de prison entièrement assortis de sursis, et pour violence, à une amende de 200 euros.
Il est en conséquence considéré comme entièrement responsable des préjudices subis par l’ancien apprenti et devra lui verser des dommages et intérêts au titre de son préjudice moral.
Florence Saint-Arroman