Ce lundi 9 décembre, cinq hommes, tous natifs du Creusot, ont été jugés
et condamnés pour avoir volé, ce 4 décembre, 400 bouteilles de crémant
et de vin dans un domaine viticole de Saint-Maurice les Couches, et pour
avoir cassé la devanture d’une épicerie générale à Saint-Berain sur
Dheune et volé des bouteilles d’alcool et des colis, trois jours plus
tard.
Quatre prévenus sont dans le box, placés en détention provisoire hier, le 8 décembre, le cinquième est à la barre. Ils ont entre 42 et 45 ans. Ils vont par paires : des jumeaux, d’une part, deux frères, d'autre part, ils sont de surcroît cousins. Celui qui se tient à la barre fait du coup, exception, il fut du reste largué sur place lors de la deuxième virée.
On va relater les faits dans l’ordre où le président de l’audience les a racontés. Louées soient ses capacités de concision et de précision, l'audience a duré près de 4 heures.
On commence par les faits du 7 décembre
Il est 2h30 du matin quand les gendarmes de Chagny sont appelés : une épicerie est victime d’effraction et de vol à Saint-Berain sur Dheune.
Une femme qui habite en face a entendu des bruits importants et elle a vu deux personnes entrer dans le magasin. Elle tente de les faire fuir en leur criant qu’elle a appelé les gendarmes, en vain. Puis elle descend de chez elle et tombe sur S. « hagard ». « Ils m’ont oublié », dit-il à la femme, puis lui demande si elle peut le conduire au Creusot. Pour dire l’état du gars. Il se tient à la barre ce 9 décembre. La femme dit aux gendarmes qu’elle a vu filer un véhicule dont elle donne une description.
Les voleurs ont cassé la devanture en jetant une jardinière en béton dessus. A l’intérieur les gendarmes trouvent un tournevis rouge avec lequel les hommes ont échoué à forcer la porte (une trace de pesée) et des bouteilles cassées, outre du sang ici et là (se sont coupés en entrant – bonjour les empreintes génétiques, ndla).
Course poursuite
A 3h10, une patrouille croise un véhicule qui correspond à cette description. A son bord, des hommes qui « tentent de se dissimuler ». Sur injonction des forces de l’ordre, le véhicule s’arrête. Les gendarmes mettent pied à terre et paf, le véhicule redémarre. C’est la course poursuite. Les fuyards commettent bien des imprudences avant de finir par perdre le contrôle. Le conducteur est arrêté. C’est l’un des frères P. Il avait bu et pris du cannabis (n’est pas poursuivi pour cela aujourd’hui). A l’arrière les frères M. et un ami à eux si on a bien compris (pas poursuivi), et puis un 4e individu : l’aîné des frères P. qui profite de la confusion pour s’enfuir. Il sera interpellé plus tard. Dans la voiture : 9 bouteilles d’alcool et quelques colis.
« Le vol, c’était une idée collective »
Le complice (S.) abandonné sur place finira par tomber dans un fossé… Les gendarmes y trouveront quelques bouteilles d’alcool et une carabine à plomb. Avait-il conscience qu’il allait commettre un vol ? L’homme soupire : « Ah j’avais bu, hein ! »
L’aîné des frères P. dit au tribunal que « le vol, c’était une idée collective ». Il espérait garder quelques bouteilles pour lui et revendre les autres. « Pourquoi ? lui demande le président. Pourquoi voler alors que vous êtes en probation avec 12 mois de prison au-dessus de la tête ? »
De là, on passe aux premiers faits, ceux du 4 décembre
Pendant la course poursuite, au cœur de la nuit, une patrouille de police est envoyée au domicile d’un des frères P., au Creusot. Ils y surprennent son fils, 19 ans, en slip avec juste un blouson passé à la hâte, qui transporte deux cartons… Son oncle l’avait appelé et réveillé en lui demandant de vite mettre le butin à l’abri. Le jeune homme s’exécute mais dans la cave, les policiers mettent la main sur 327 bouteilles.
Une plainte toute fraîche
Un domaine viticole sis à Saint-Maurice les Couches avait déposé plainte pour le vol de 400 bouteilles (pour 5300 euros) ainsi que d’un fourgon Peugeot Boxer (d’une valeur de 39000 euros), d’une meuleuse et d’une tronçonneuse. Le fourgon sera retrouvé, partiellement incendié (avec l’essence de la tronçonneuse ! pour effacer les traces ADN, disent les prévenus).
Un peu affligeant, tout ça
Alors ce vol ? Ben, les cousins étaient ensemble avec S. ce 4 décembre, ils ont bu, se demandaient où ils pourraient aller piquer des trucs et les frères P. ont eu l’idée de se rendre dans ce domaine viticole dans lequel ils avaient fait les vendanges il y a une vingtaine d’années. Le frère le plus jeune (celui qui hébergeait les cartons de vin parce qu’il est le seul à avoir une cave) semble émettre sinon un regret du moins un scrupule nostalgique a posteriori : ses grands-parents et ses parents y avaient eux aussi travaillé. Ça nous dit quelque chose de cette famille.
« Je suis vraiment désolé pour eux (il parle des propriétaires du domaine, ndla) » ajoute le prévenu.
Sur les 400 bouteilles il en manque donc pas loin de 80, ils avaient dû chacun en garder et commencer les dégustations de Noël en avance. Le reste sera restitué au domaine.
« On n’a rien fracturé » se défendent encore les prévenus. « Le hangar était ouvert et les clés dans le véhicule »
Les personnalités des prévenus
« Vous avez une insertion familiale et professionnelle : pourquoi ces faits ? »
Le propriétaire de la cave est en couple depuis 25 ans. C’est la voiture de sa compagne qui a servi le 7 décembre, elle a été saisie. Ils ont trois enfants, dont ce fils de 19 ans qui rendait service à son oncle et à son père en tentant de dissimuler les cartons (sauf qu’il en ignorait la quantité réelle). Les deux autres sont encore petits. Au casier de leur père, 3 mentions (deux conduites sous l’empire de l’alcool, et une conduite sous l’emprise de produits stupéfiants).
Avec tout ça, il travaille. Une juge assesseure : « Vous avez des compétences professionnelles. Vous avez une insertion familiale et professionnelle : pourquoi ces faits ? Si à 40 ans on n’est pas mature… Si avec du travail, une femme, des enfants, on se dit ‘je vais aller voler du vin avec mon frère et mon cousin’… ?!? »
Cette question fait pleurer la femme du prévenu. Celui-ci travaille depuis qu’il a 16 ans.
En long arrêt maladie à cause d’une épicondylite - « Et malgré ça vous avez porté des cartons ? »
Son frère aîné a un enfant d’une précédente union et 3 condamnations. Il est en probation. Fut condamné en février dernier à 12 mois ferme et à un sursis probatoire pendant 2 ans pour défaut de contrôle technique, conduite sans assurance, conduite malgré l’obligation de restituer son permis, usage de stupéfiants, refus de se soumettre à l’éthylotest. Il est en long arrêt maladie à cause d’une épicondylite. « Mon bras n’a plus de force, j’ai rendez-vous pour me faire opérer » dit-il. La juge assesseure ne le rate pas : « Et malgré ça vous avez porté des cartons ? – Avec difficulté » répond l’homme.
A part ça, il travaille depuis qu’il a 15 ans.
Alcool et CDI
Celui qui se tient à la barre travaille en CDI. « Ce jour-là j’ai craqué, j’ai bu. » Soit, mais à son casier, deux amendes pour conduite alcoolique. A l'audience, il n'en menait pas large. « J’ai ma gamine, j’ai mon travail » disait-il en secouant la tête sous le poids de la consternation.
Les frères M.
Ils vivent ensemble dans un studio. L’un a 5 enfants issus de deux femmes mais il est aujourd’hui célibataire ; Reconnu comme souffrant de schizophrénie il reçoit une injection retard tous les 28 jours, il perçoit l’allocation pour adulte handicapé et dit être dépendant de la bière. « Ma psychiatre va me donner des médicaments pour arrêter de boire. » 4 condamnations à son casier il n’a jamais été incarcéré.
Son jumeau l’a été deux fois, lui. 7 fois condamné (dégradations, usage de stupéfiants, non versement de pension alimentaire, violences habituelles sur conjoint, sur mineur, sur forces de l’ordre – toutes choses n’étant pas égales, ndla)
Les réquisitions
Entre « une perte financière directe », « un manque à gagner » et « le travail quotidien pour faire vivre un domaine ou une épicerie », la procureur insiste sur « les ennuis matériels et les soucis » causés par les vols.
Sur les prévenus : « L’alcool est une sorte de doudou judiciaire. Ils disent tous, ‘C’est pas moi c’est l’alcool’. Or l’alcool ne justifie rien. On le consomme de façon volontaire. Ils ont fait des choix. »
La procureur requiert une peine ferme de plus de 3 ans pour l’aîné des frères P., et des peines mixtes pour les autres prévenus, avec maintiens en détention sauf pour celui qui se tient à la barre.
La défense
L’un arrête sa scolarité en 6e, l’autre « sait à peine lire et écrire »
« C’est le degré zéro de la délinquance en termes d’intelligence et d’organisation, plaide maître Pierre Ndong Ndong pour les frères M. Les faits ont eu lieu le 4 et le 8 ,tout le monde est en garde à vue ! » L’avocat raconte un peu. La mère, handicapée suite à un accident, ne peut plus s’occuper de ses petits. Le père, déjà séparé d’elle, ne veut pas prendre la charge de ses enfants. Ils sont placés, « de leurs 4 ans à leurs 17 ans ». L’un arrête sa scolarité en 6e, l’autre « sait à peine lire et écrire ». « Ils ont des enfants mais ne sont pas capables de prendre en charge qui que ce soit. Ils se lèvent vers 10 heures le matin. Ils mangent, puis ils boivent… Ces vols, c’est de la petite délinquance de survie. Ils ont besoin d’être encadrés. »
Les vols sont commis pendant des carences de travail pour les frères P.
Maître Mirek, pour les trois autres prévenus, est bien d’accord sur les préjudices causés, pour autant elle parle d' « amateurisme », « aucune préparation », « improvisation ». L’avocate relève que les vols sont commis pendant des carences de travail pour les frères P. (l’un en arrêt, l’autre entre deux missions intérim). Elle plaide dans le sens de la préservation de leurs insertions. L’aîné est en probation mais le SPIP dit qu’il a « un comportement positif ».
Quant au seul qui est sous contrôle judiciaire, il travaille dans une industrie, « il fait les 4 x 8, un rythme très dur », « il est éligible à un sursis probatoire intégral ».
Décisions du tribunal – Tous sont coupables de ce qu’on leur reproche
30 mois de prison ferme puis 2 ans sous main de justice
L’aîné des frère P. est condamné à la peine de 27 mois de prison dont 10 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans (obligations de travailler, de suivre des soins, d’indemniser la partie civile – l’épicerie-, et de payer le droit fixe de procédure de 127 euros. Ce cadre sera le même pour les 5 prévenus).
Le tribunal révoque le sursis de 2021, avec incarcération immédiate.
Ça fait 30 mois de prison ferme en tout.
Interdiction de porter une arme, pendant 5 ans.
12 mois ferme puis 2 ans sous main de justice
Son frère est condamné à la peine de 18 mois dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans.
Maintien en détention pour les 12 mois ferme.
Rejet de la demande de dispense d’inscription au B2 du casier judiciaire.
Interdiction de porter une arme, pendant 5 ans.
Le tribunal ordonne la restitution du véhicule saisi, « pour la seule raison que ça ferait perdre plus d’argent à l’Etat en frais de gardiennage, vu la valeur du véhicule. A titre de compensation, monsieur est condamné à une amende délictuelle de 2000 euros. »
Le frère M. qui souffre d’une pathologie psychiatrique (poursuivi que pour les faits du 4 décembre)
Est condamné à la peine de 12 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans.
L’autre frère M. (poursuivi que pour les faits du 4 décembre)
Est condamné à la peine de 18 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Pour la partie ferme de 12 mois, il sera convoqué devant un juge de l’application des peines et aura intérêt à se ressaisir s’il espère un aménagement de sa peine.
Celui qui fut oublié sur les lieux du vol du 7 décembre, S., poursuivi que pour ces faits-là
Est condamné à la peine de 10 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans.
« Le tribunal ne prononce pas d’interdictions de contact entre vous, compte-tenu des liens familiaux. A charge pour chacun de prendre ses distances, vu les influences néfastes que vous exercez les uns sur les autres. »
Le tribunal reçoit le gérant de l’épicerie en qualité de partie civile, déclare les frères P. et leur copain qui était à la barre « solidairement responsables des préjudices », et renvoie sur intérêt civil en mars prochain.
FSA