«Vous ne vous êtes pas dit : «je risque gros ?» Il n'y pensais pas... Mais la Police était là pour ce multi-récidiviste qui va regretter d'avoir voulu changer de place la voiture de son beau-frère. Faut dire qu'avec un feu rouge grillé...
En voilà un qui a « bien des ennuis pour avoir fait 50 mètres au volant d’une voiture » qui ne lui appartient même pas, comme le souligne la présidente. Pour commencer, il vient de passer deux nuits en prison, et pour finir...
46 ans, un bon casier, une vie un peu-beaucoup aux franges.
Un homme paisible, à l’audience de comparution immédiate de ce lundi 4 mars. Il a l’air trop gentil, à dire « oui madame », « bien sûr », « je sais madame », « j’ai fait n’importe quoi », « je n’ai pas réfléchi ». A quoi bon vouloir croiser le fer ? Un juge chalonnais le disait l’an dernier à un prévenu : « La société gagne toujours, toujours. »
C’est dommage que celui-ci soit en CI (comparution immédiate), parce qu’il s’est sorti d’une addiction aux produits stupéfiants, il ne prend plus de produit de substitution. C’est bravo ! Si c’est vrai, si ça tient. Mais socialement, c’est marée basse.
Le 1er mars, au Creusot, la voiture du beau-frère était posée à la hâte devant... la porte d’un garage. « Le voisin râlait. » Le beau-frère n’est pas là. Le futur prévenu en récidive prend le volant alors que son permis est annulé (notification en octobre dernier), donc il n’a absolument pas le droit de conduire. De surcroît, il avait bu « une grande bière », « c’était la fin de journée ». Taux d’alcool dans le sang : 0,98 gramme.
Bon, il roule, il voit la police, il prend peur, accélère, grille un feu rouge. Et voilà le travail.
« On a passé le stade du bracelet »
A son casier, 11 condamnations, dont « 8 condamnations en lien avec des faits de route. Monsieur est un danger pour lui-même et pour les autres » relève la procureur qui va appliquer une logique toute pénale : incarcéré à trois reprises, il connaît les conséquences de ses actes, y compris le risque de blesser quelqu’un, il a eu deux suivis SPIP (par le service pénitentiaire d’insertion et de probation) mais « le suivi en milieu ouvert, ça ne fonctionne pas » et « on a passé le stade du bracelet ». Peine requise : 20 mois et révocation de 5 mois (le sursis prononcé en juin 2022).
Tolérance zéro
La scène des faits sortirait d’un film de cinéma que ça serait un film comique et tout le monde se gondolerait. Ici personne ne rit. Personne, en dehors du ministère public, ne vient dire que c’est très grave, ce qu’il a fait cet homme-là, ce 1er mars en fin de journée, mais ce qu’on lui reproche, au fond, c’est un refus d’obtempérer : avec toutes ses condamnations, comment ose-t-il encore se la jouer cool ? Comment ose-t-il se mettre en infraction, fut-ce pour déplacer un véhicule qui ne lui appartient même pas ? On va lui montrer c’est qui le plus fort, en dépit d’une plaidoirie réaliste et pertinente.
« On attendait de lui qu’il retrouve une vie sociale normale, mais ça n’est pas si simple ! »
« Il est pris dans une quadrature du cercle », plaide maître Dijoux qui dresse un tableau rapide de la situation de son client. Celui-ci était sorti de détention il y a 6 semaines, il avait un contrat de travail sur un chantier d’insertion qui a pris fin début février.
« On attendait de lui qu’il retrouve une vie sociale normale, qu’il se loge, qu’il travaille, mais ça n’est pas si simple ! Son travail sur le chantier d’insertion lui rapportait 1 000 euros par mois : comment signer un bail avec si peu de revenus ? Alors sa famille et lui ont appelé des foyers. Tous pleins, sauf un foyer pour SDF dans lequel il n’était pas souhaitable qu’il réside. Donc ils ont trouvé une solution familiale : il est allé vivre chez sa mère. Sauf qu’elle vit à Essertenne, et Essertenne n’est pas desservie par les transports en commun. Il faut faire 20 mn de voiture pour aller prendre un bus. » Chercher et trouver du travail dans ces conditions, sans permis et sans véhicule…
« Monsieur est dans une situation où la réinsertion est extrêmement difficile à la sortie de prison, et il se heurte à des problèmes matériels tout à fait concret. » Maître Dijoux plaide pour une peine aménagée, « pour qu’il ne perde pas les bénéfices des démarches déjà faites, et ne tombe pas plus bas que zéro en sortant ».
… pour finir : 23 mois de prison, maintien en détention
Le tribunal déclare le prévenu coupable de récidive de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, de conduite malgré l’annulation judiciaire du permis de conduire et l’inobservation de l’arrêt imposé par un feu rouge, le condamne à la peine de 18 mois de prison avec maintien en détention, révoque totalement le sursis de 5 mois avec exécution immédiate : ça fait 23 mois, soit presque deux ans de prison ferme, « au vu du casier ».
En outre son permis déjà annulé est re-annulé, il aura l’interdiction de conduire sans EAD pendant un mois et devra payer une amende de 150 euros.
La présidente prend soin de l’informer qu’il peut travailler à un projet de sortie pour demander, à mi-peine, l’aménagement de celle-ci. Le sursis probatoire en cours reprendra à sa sortie. Mais vu ce qu’il vient de prendre dans la tête, ça lui fait une belle jambe sur l’instant. Il fait signe, la mine grave, aux membres de sa famille présents : il leur téléphonera dès que possible.
« Vous avez été condamné à de multiples reprises, vous n’avez pas le droit de conduire, et vous ne vous êtes pas dit :’je risque gros’ ?
- Ben, c’était juste pour 50 mètres… »
FSA