C'est Monsieur qui avait déposé plainte en premier... « C’est un couple qui dysfonctionne et les violences se déroulent devant les enfants»... ...«Madame se jetait sur lui. Il porte encore des griffures ! Il s’est défendu»
Un homme âgé de 39 ans est dans le box. Il doit répondre de violences habituelles sur sa conjointe sur une période qui va de septembre 2021 au 16 décembre 2024.
Ce dossier ne va pas sans un assaisonnement piquant, car en septembre 2021, ce prévenu était sous le coup d’une condamnation pour des violences aggravées, des menaces de mort, des violences habituelles par concubin de mars à juin 2021... 10 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant deux ans avec l’obligation de résider en dehors de son domicile au Breuil (dans lequel vivait toujours madame) et une interdiction de tout contact avec la victime…
Alors contact ou pas contact ? Il assure que non, elle assure que oui.
Prenons les choses dans l’ordre : monsieur dépose plainte en premier
Le 16 décembre, soit il y a 3 jours, monsieur dépose plainte contre sa conjointe. Pour des raisons qui nous échappent, il le fait au commissariat de Montceau qui transmettra ensuite au commissariat du Creusot.
Elle et lui sont en couple depuis 5 ans. Ils vivent ensemble dans un domicile qui est à lui, et les deux enfants de madame vont et viennent selon une mesure de garde alternée.
Monsieur explique qu’il a été victime de violences la veille, le 15 décembre. Il les décrit. Les enfants avaient alors appelé leurs grands-parents pour qu’ils viennent les chercher.
L’homme dénonce en outre des violences régulières de la part de sa conjointe, depuis 18 mois. Il dit qu’il a « peur d’elle », qu’il lui est arrivé de dormir dans sa voiture, qu’il s’était confié « à un ami policier » qui a versé à la procédure copie de messages datant de septembre dernier et des photos de blessures. « Ma copine me frappe trop. » On lui dit d’appeler le 17, il ne le fait pas. Il fait état de pensées suicidaires.
Madame a été condamnée fissa
La femme a été jugée hier, 18 décembre, selon la procédure de CRPC-défèrement.
C’est un plaider-coupable qui se fait au moment de la présentation au procureur, dans la foulée – l’audience d’homologation reste publique, selon la loi, mais comme ça se passe dans la partie sécurisée du palais, la presse n’y a pas accès.
Nous en reparlerons car les CRPC-défèrement se multiplient au point que les magistrats voudraient pouvoir juger pendant les week-ends. Mais pour que ça soit conforme aux textes, il faudrait que le palais soit ouvert, il faut donc des agents de sécurité, etc.
Bref : madame avait reconnu être régulièrement violente envers son conjoint, elle a été condamnée à la peine de 1 an de prison entièrement assorti d’un sursis probatoire, avec interdiction de tout contact avec monsieur.
A son tour, elle dépose plainte contre lui
Sauf que : à la suite de la plainte de monsieur contre elle, elle dénonce à son tour des violences contre elle. Du coup le plaignant d’origine devient gardé à vue.
Alors cette interdiction de contact qui lui incombait en 2021 et 2022, l’a-t-il respectée ? La présidente ne parvient pas à obtenir une réponse claire…
« Monsieur, madame dit que vous avez été violent à partir de septembre 2021, elle décrit des faits qui impliquent des contacts… »
L’homme se met à parler, à côté de la question posée : « Dès que j’ai eu l’autorisation de mon CPIP, on s’est revus. Il y a eu des disputes. Elle m’étranglait, je la mordais pour qu’elle lâche. J’ai vu des psychos, j’ai fait des stages (on y reviendra, ndla), alors revenir à taper, non ! Frapper quelqu’un, ça coûte trop cher. Elle m’a toujours dit : ‘Moi j’ai le droit de te frapper, tu vas te plaindre chez les flics, et après je te tuerai.’ »
Dans ces conditions, pourquoi rester bon sang ?
Il ne l’a pas frappée, il le répète. La présidente lit le certificat médical qui octroie 5 jours d’ITT à madame, et décrit des dermabrasions. Elle fait état des témoignages, dont ceux des enfants qui semblent équilibrés. « Ils se tapent, ils se mettent des claques », « ils se bousculent souvent ».
« Mon beau-père est beaucoup plus grand que ma mère, mais ma mère est plus forte que lui. »
Dans ces conditions, pourquoi le prévenu est-il resté avec madame ? Sur ce point, une chose compte : madame n’a pas eu la force, dira-t-elle, de chercher un logement et d’aller y vivre avec ses enfants. Trop lourd pour elle, ça se peut. Lui, il dit qu’ils avaient peur qu’elle perde la garde de ses enfants. Bon.
Ah ben finalement il n’était pas à Chalon pendant l’interdiction de contact…
La victime affirme que dès août 2021, monsieur et elle se voyaient (et que c’était régulièrement violent). Cela permet à la présidente de relancer le prévenu sur l’endroit où il se trouvait lors de l’interdiction de contact qui lui incombait.
« J’étais dans ma caravane. (Au début de l’audience il affirmait qu’il l’avait posée sur le terrain d’un ami, à Chalon)
- Où ?
- Sur un parking.
- Où, ce parking ?
- (petit silence…) … À côté de chez moi.
- Ah, on se rapproche ! »
Et il cause, et il cause. La présidente l’interrompt : « Monsieur, l’interdiction de contact s’imposait à vous. »
« Stage de sensibilisation aux violences conjugales » : « vachement bien »
A son casier 3 condamnations. 2 en 2012, puis celle de 2021 pour violence sur conjoint et l’on revient au fameux « stage de sensibilisation aux violences conjugales ».
C’est un tout petit moment au cours de l’audience mais il est remarquable.
Le prévenu, qui comparaît, on le rappelle, en état de récidive légale, a trouvé son stage « vachement bien ». Il explique : « On nous a appris à baisser les yeux et à partir quand ça devient compliqué. Ce stage m’a été très bénéfique. »
Les discours et leurs prises, ou pas, sur les personnes… Gros chantier de réflexion
Avant de rire de lui, il faut réaliser qu’il est sincère. Il a trouvé ça formidable et ça lui a été « bénéfique » parce qu’il a appris des choses. Alors, ces choses n’ont pas franchement de prise sur lui mais c’est une autre question. C’est une question sur les discours qu’on sert aux personnes condamnées à suivre ces stages, à leurs frais la plupart du temps (200 euros selon les infos qu’on a trouvé sur différents sites).
Bref, lui, ça l’a intéressé, il aurait bien aimé, et pour cause, que madame y soit, elle aussi, contrainte, et c’est pas idiot vu son cas.
« C’est un couple qui dysfonctionne et les violences se déroulent devant les enfants »
Maître Bouflija est « ravie d’entendre que ça a été bénéfique à monsieur ». L’avocate intervient pour madame. « C’est un couple qui dysfonctionne et les violences se déroulent devant les enfants. Madame n’avait pas les moyens économiques de dénoncer les violences, mais elle ne met pas tout sur lui, et elle a été condamnée hier. Ça n’empêche pas qu’elle a subi des violences. Aujourd’hui elle veut être reconnue victime. »
« Monsieur veut échapper à sa responsabilité, il dénie le moindre acte de violence »
Le procureur requiert une peine de 18 mois de prison dont 9 mois seraient assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec des obligations (mais pas de nouveau stage) et l’interdiction de tout contact ainsi que de paraître au domicile de madame.
« Monsieur veut échapper à sa responsabilité, il dénie le moindre acte de violence. Il doit comprendre qu’il y a des règles à respecter et il faut qu’il évolue. » Le procureur demande le maintien en détention du prévenu pour la partie ferme.
« Madame se jetait sur lui. Il porte encore des griffures ! Il s’est défendu »
« Cette affaire laisse un sentiment d’incompréhension totale à monsieur. Il porte plainte contre madame et il est dans le box ! » Maître Chavance plaide pour ramener les faits à une autre dimension. « Madame se jetait sur lui. Il porte encore des griffures ! Il s’est défendu. C’est lui qui appelait au secours dans ce dossier. La peine requise n’est pas proportionnée. Ne le maintenez pas en détention. Il est en CDI et son employeur est élogieux à son égard.»
3 mois ferme et 2 ans de probation
Le tribunal pèse tous les éléments, dit le prévenu « coupable » et le condamne à la peine de 12 mois de prison dont 9 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 18 mois. Obligations de travailler, de consulter un psychothérapeute, interdiction de contact et de paraître là où madame vivra. Monsieur devra l’indemniser et payer le droit fixe de procédure (127 euros).
La partie ferme est donc de 3 mois, il verra un juge de l’application des peines pour organiser l’aménagement en détention à domicile.
Le tribunal précise : « Le sursis probatoire total n’était pas possible vu l’état de récidive. » Le tribunal a donc bien entendu sa plainte ainsi que celle de madame : les deux ont désormais l’interdiction d’entrer en contact avec l’autre.
FSA