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14/01/2023 10:00
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Jugement en appel : Quand 3 hommes tombent sur un mineur homosexuel

Tout avait débuté dans la région du Creusot...
« Il fait nuit, vous êtes trois, il est mineur, vous êtes majeurs. A aucun moment vous ne vous êtes dit : ‘il a peur’ ? » Le président Cathelin, à la Cour d’appel de Dijon interroge l’un des prévenus, poursuivis avec deux autres pour « agression sexuelle en réunion », le 4 décembre 2016. L’enjeu pénal ? y a-t-il eu contrainte ?
Le 23 septembre dernier, ces trois hommes ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône à des peines de 5 ans de prison dont 1 an avec sursis et un mandat de dépôt à la barre. Compte-tenu de ce que le dossier dit des faits, qui datent de 2016, aucun de leurs avocats n’avait imaginé cela possible, et ils sont trois à s’être battus à la barre de la Cour d’appel ce jeudi 12 janvier. Une histoire glauque, une histoire qui choque « la bonne morale », voire « la normalité » comme ont dit les magistrats, mais qui, pénalement, raconte quoi ?

Le 4 décembre au soir, un adolescent âgé de 16 ans va passer la soirée chez son ami, qui vivait alors au Creusot. Des amis sont là, on boit, on chichonne (il avait du THC dans le sang, ndla), et puis on s’embrouille et tout le monde part, laissant le jeune V. (initiale changée, ndla) à lui-même. Qui est ce garçon ? Lui et les prévenus ont tous rencontré un expert psychiatre. Le président Cathelin évoque ce qui concerne V. : « personnalité anxieuse et soumise », « estime de soi dégradée », « pas d’anomalie mentale », « pas de troubles psychiatriques ».
Il sort avec un homme plus âgé que lui depuis ses 15 ans, il vit encore chez sa mère, à 30 mn en voiture, environ, du Creusot. « Un pauvre gamin » dit maître Laurence Grenier-Guignard à l’audience. Un gamin pas mal livré à lui-même, « en souffrance » diront le bâtonnier Damien Varlet et maître Mathilde Leray. Souffrance que maître Chloé Redon (barreau de Paris) qui intervient pour V., son compagnon, et sa mère qui se constituent parties civiles, impute entièrement à ce qui s’est passé ce 4 décembre en tout début de soirée.

Deux fellations
Après la dispute, V. entend rentrer chez sa mère, seul. Il marche jusqu’à la sortie du Creusot, une bouteille d’alcool à la main, et fait du stop. Il a pris un couteau de cuisine, « pour se rassurer ». Conduite à risque, donc, mais c’est ainsi. Pendant ce temps, trois copains s’étaient retrouvés pour aller jouer au Casino de Santenay. Ils roulent en fourgonnette blanche, voient l’autostoppeur, le prennent avec eux.
Ces hommes ont aujourd’hui 30, 32 et 34 ans. Le 4 décembre 2016 ils sont âgés de 24, 26, et 28 ans. Les hommes lui proposent un sandwich qu’ils venaient d’acheter, et puis ils discutent. Sauf que le jeune garçon est d’abord assis sur les genoux de l’un, à l’avant du véhicule, puis lors d’un arrêt le long du canal, les trois potes le font monter à l’arrière. Il y eut deux fellations. Puis on le dépose vers chez sa mère, comme convenu, avec ses affaires y compris le couteau de cuisine.

L’enjeu pénal : y a-t-il eu contrainte ?
Le garçon affirme que les hommes l’ont contraint aux fellations, ce qui ressort alors d’un viol pur et simple ; les hommes soutiennent que non, « on discutait, il a dit qu’il était homosexuel, qu’il avait un petit ami, il nous a proposé de… ». Voilà l’enjeu pénal : y a-t-il eu contrainte ? L’affaire part à l’instruction, elle est renvoyée en correctionnelle pour agression sexuelle.
Les prévenus sont placés sous contrôle judiciaire, « et pendant 5 ans, pas un seul incident » plaidera maître Leray. Ils sont incarcérés à la barre en septembre dernier, leurs avocats interjettent appel le jour même. Ils sont libérés par décision de la Cour quelques semaines plus tard. « Le jugement en premier ressort était empreint de moralité, et non d’un cadre pénal » plaident-ils.

Requis : 5 ans avec mandat de dépôt – « Cette peine n’a aucun sens ! »
Maître Varlet lit une des motivations qui discrédite un gendarme de la Brigade de Beaune, lequel remarquait par écrit que la victime disait ne pas avoir de téléphone sur elle, alors qu’elle en avait un, celui qu’une amie avait oublié dans l’appartement au Creusot.
L’avocat estime que le gendarme émettait la possibilité d’un doute, doute balayé par le tribunal qui écrit que ce gendarme « manque d’habitude en matière criminelle ». « La peine prononcée en premier ressort dit que ces trois-là sont suffisamment dangereux pour être incarcérés immédiatement, alors qu’on les juge en 2022 pour des faits de 2016, qu’entre-temps ils sont libres et qu’il n’y a aucun problème, et on vient vous dire qu’il faut à nouveau les incarcérer, et pour 5 ans !? » plaide maître Leray. C’est que Christophe Aubertin, avocat général au jugement en appel, a requis davantage que la première peine : 5 ans avec mandat de dépôt.  « Cette peine n’a aucun sens ! » s’indigne l’avocate.

Pourrait-il juridiquement y avoir eu contrainte du seul fait de la situation ?
Juger n’est pas une tâche facile, mais on a des repères, on a une jurisprudence. Il n’y a pas eu viol, mais il pourrait y avoir eu contrainte du seul fait de la situation comme l’a rappelé le président : il fait nuit, ils sont en voiture, ils sont trois, il est seul, il est mineur.
Ces arguments, si la Cour entrait en voie de condamnation, seront vraisemblablement dans la motivation. Dans tous les cas de figure, il appert que ces faits-là, dans ce contexte-là, ne sauraient être punis d’une telle peine (5 ans avec incarcération immédiate), et c’est bien pourquoi les avocats se battent, et ils se battent pour que leurs clients soient relaxés. Le président Cathelin donne son regard : « La Cour a du mal à comprendre le déroulement des faits, sur un laps de temps si court, avec des personnes qui ne sont pas homosexuelles. » Il ajoute honnêtement : « Je ne comprends pas. » Les avocats montent à la barre, tâchant de lui apporter des éléments de compréhension, tirés du tonneau à l’eau sombre des fantasmes de chacun, fantasmes risqués dans des passages à l’acte. Y voir clair là-dedans…

« De tels faits laissent des blessures à l’âme, ça laisse des traces, or le médecin n’en constate pas »
« Il faut que la Cour soit vigilante aux éléments qui font douter. Une de ses amies rapporte que V. ‘envoie parfois des photos de ses fesses à des gens qu’il ne connaît pas’.
Elle parle de sa façon ‘théâtrale’ d’exister. Et puis on a l’expertise psychiatrique : de tels faits laissent des blessures à l’âme, ça laisse des traces, or le médecin n’en constate pas. Un OPJ de la BSU demande à V. comment il a manifesté son absence de consentement : ‘j’ai dit ‘Non’ mais j’ai fini par le faire, sans contrainte ni menace’. Je reconnais, poursuit le bâtonnier Varlet, qu’à la place de V., de nuit, avec trois hommes, on n’est pas rassuré, je le comprends. Mais la Cour devra distinguer le ressenti de la victime, aussi légitime soit-il, des faits objectifs. »

« C’est un jeune extrêmement carencé »
« Il faut lire l’intégralité des PV, plaide Laurence Grenier-Guignard, car V. n’a pas été menacé et n’avait aucune raison de fuir. Et puis : il est seul, il a ingéré de l’alcool et du cannabis et il n’appelle pas sa mère, non, il prend la route. C’est un pauvre gamin, je ne peux pas le dire autrement. Il a une mère calamiteuse. En septembre il avait fugué, il est orienté en hôpital psychiatrique. C’est un jeune qui n’est pas bien, il a toutes les raisons d’aller mal : il est extrêmement carencé. » L’avocate continue :
« Des choses nous échappent, parce qu’on n’a pas les mêmes codes. En premier ressort on avait le sentiment que quoi qu’on dise, c’est comme si on discréditait la parole de la victime, alors que quand on entre dans le dossier, on voit bien que des éléments n’ont pas été pris en considération. »

« Il y a eu une relation sexuelle ce soir-là, mais… »
Laurence Grenier reprend « une bonne question » posée par l’avocat général : « Et si c’est lui, V., qui a provoqué, alors pourquoi porter plainte ? » L’avocate trouve des éléments de réponse dans le rapport de l’expert psychiatre : « Personnalité histrionique sans capacité d’introspection. V. ne peut faire que très difficilement le lien entre ses comportements et ses mouvements psychiques internes. »
« Il se refait une histoire, dit maître Grenier. Il a une attitude ambigüe, la mère de son amie disait ‘je ne sais pas quoi penser, ça me semblait très théâtral’. Il y a eu une relation sexuelle ce soir-là, mais mon client dit ne l’avoir pas forcé. Je demande sa relaxe au nom du doute. »

« Il a un grand besoin d’attirer l’attention et d’avoir de l’affection. Dire cela, ce n’est pas décrédibiliser sa parole, c’est essayer de comprendre »
« Dans le jugement, on décrédibilise tous les éléments à décharge, or vu la peine prononcée il faut de la rigueur. » Maître Leray plaide en dernier, et répond à une juge assesseur, choquée que le jeune homme ayant vomi après une première fellation, on lui en demande une seconde.
« Si mon client tirait une excitation sexuelle de la souffrance de l’autre, alors il serait très dangereux. Mais le dossier ne dit pas cela, l’expert psychiatre non plus. » L’avocate reprend les propos de son client qui maintient que l’ambiance dans cette fichue fourgonnette ce fichu soir du 4 décembre n’était pas tendue. « On discutait. » Ils discutaient, et puis ils ont blagué, sûrement, et puis comment savoir, faute d’éléments objectifs, ce qui s’est passé ? Comme sa consœur, elle évoque un contexte familial qui interroge :
« Et la mère qui descend son fils ! Et puis se faire de l’argent sur dos, c’est facile, mais pour lui, ce n’est pas facile, sa personnalité anxieuse et soumise est la résultante de comment et avec quoi il a grandi. Il n’a pour autant aucun signe de stress post-traumatique, il n’a aucun suivi psychologique, il vous l’a dit. En revanche il a un grand besoin d’attirer l’attention et d’avoir de l’affection. Dire cela, ce n’est pas décrédibiliser sa parole, c’est essayer de comprendre. »

Grand écart – Délibéré fin février
L’avocate des parties civiles demandait à la Cour de « confirmer le jugement », l’avocat général donnait lui aussi son sentiment : « Je pense qu’il avait peur. »
Les avocats du barreau de Chalon, eux, plaidaient dans l’interstice de l’absence de violences et de menaces, mais avec, côté victime, un adolescent qui avait clairement une conduite à risque et qui, peut-être, mais qui peut le savoir avec certitude ?, a joué avec le feu, et « s’est refait une histoire ».
Bilan provisoire : 5 ans de prison d’un côté, des relaxes de l’autre. La Cour met en délibéré au 23 février.
FSA

Note : A l’audience il fut question des papiers « fait-divers » sortis après les faits, puis des identités des prévenus livrées à la vindicte populaire, ce qui n’a pas manqué d’arriver. Le président de la Cour d’appel le soulignait : ce sont des hommes sans casiers judiciaires, insérés professionnellement et familialement, « vous n’êtes pas des délinquants ». Ces profils ne sauraient faire d’eux des saints, ce qu’ils ne sont d’ailleurs pas, mais cet épisode « révulsant » disait l’un des avocats, a besoin d’être encadré par ce que dit le droit pénal sur ce qui caractérise une agression sexuelle en réunion. A noter que le prévenu qui conduisait le véhicule est poursuivi pour complicité.