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> Faits Divers > Dans la Région du Creusot
22/12/2021 03:16
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SAINT SERNIN DU BOIS : Son addiction le contuit en prison pour Noël

Certaines addictions sont pour ainsi dire tolérées et d'autres pas. 
Ce prévenu a déjà été condamné pour conduite sous l’empire de l’alcool, il y a d’ailleurs laissé son permis, annulé judiciairement en 2007. Depuis, il ne l’a pas repassé.
Celui-ci, né en 1974, rejoint, ce 20 décembre, la cohorte des prévenus en proie à des addictions qui ont été jugés en 2021, parce que certaines addictions vous mettent en infraction, ou vous poussent à commettre des délits. Sauf que ce n’est pas l’œuvre du diable, c’est humain, très humain. Un peu trop, même, si on regarde à quelles fréquences reviennent les mots « alcoolisme » et « toxicomanie » dans les tribunaux. On a vu juger des personnes addictes au jeu, mais jamais seulement au tabac ou à la nourriture.

Petit tour au pays de la double contrainte
En cette fin d’année en proie à une frénésie d’achats et de bouffe et tout, comme il se doit et malgré le boulet qu’est devenu non seulement la pandémie de Covid-19 et de ses variants issus de l’alphabet grec, mais aussi la gestion, comme on dit, de cette pandémie, « gestion » fatigante pour tous, qu’on soit vaccinés ou pas. On est tous sur le pont qui s’appelle « Pénible », juste au-dessus du pont qui s’appelle « Va comprendre », et on essaie d’éviter le pont nommé « Réa ».

Sur un autre paquebot navigue le personnel soignant du pays, soumis aux injonctions et décisions politico-technocratiques, épuisé par un travail accru, le stress de la vie perso qu’il faut mener quand même alors qu’il faut tester Gaspard, isoler Amélie, et pourvu qu’ils n’aient pas chopé le truc, sinon comment aller travailler, etc.
Il faut éviter la saturation du système de soins, tout en fermant des lits parce que sinon c’est pas rentable alors que tout, absolument tout, doit l’être, et va savoir comment on en est arrivé à cette aberration collective mais c’est fait, et voilà comment des millions de citoyens se trouvent coincés entre l’intérêt collectif (ce qu’on appelle la santé publique, et qui connut ses lettres de noblesse avant d’être ramenée à un truc discutable, ce qui est fou également) et l’intérêt économique, et l’intérêt d’on se sait plus qui, à force, mais ça fait trop d’intérêts, c’est certain.

Entrevoir le bout du tunnel
Adoncques ce prévenu, lui, passe la fin d’année en prison. Il y purge une peine de 4 mois. C’est aussi pour ça que son avocate avait demandé un renvoi : elle n’avait pas pu le rencontrer au parloir, mais elle voulait préparer un plan B pour sa sortie, au cas où. Il est libérable début janvier et, on le verra, paie surtout ses difficultés personnelles.
Une pensée au passage pour les milieux chics, aisés, à l’aura pailletée par le succès d’une image publique (la télé, le showbiz, la politique, également, mais aussi tout plein d’autres gens) dans lesquels les rails de poudre sont livrés sur le lieu de travail, mais ça fait rien ou si peu. Chez les pauvres, ça fait beaucoup, ça fait des vies de famille fichues, des casiers judiciaires et des emm… à n’en plus finir, sauf (et c’est là qu’on passe sur un versant plus proche de la trêve des confiseurs que celui du gavage des oies) quand on entrevoit le bout du tunnel.
C’est ce qui arrive à ce prévenu-là, c’est ce que plaide maître Leray, c’est aussi ce que la présidente Catala et madame Perreau, substitut du procureur, semblent observer elles aussi. On l’a déjà écrit mais comme on écrit plusieurs centaines d’articles par an, on peut se répéter parfois : quand tout le monde est d’accord, en dépit de la différence des places que chacun occupe, alors ça fait de bonnes audiences, parce qu’elles sont cohérentes (du point de vue de la répression des délits et infractions mais aussi du point de vue de l’intérêt de la personne jugée, surtout quand il n’y a aucune autre victime qu’elle au dossier, ndla).

Il a bu, il s’est drogué, et il n’a pas de permis de conduire
Ce prévenu a déjà été condamné pour conduite sous l’empire de l’alcool, il y a d’ailleurs laissé son permis, annulé judiciairement en 2007. Depuis, il ne l’a pas repassé. Pourtant en 2018, il est condamné pour conduite en ayant fait usage de stupéfiants. Le 28 octobre dernier, des gendarmes le contrôlent alors qu’il arrive en bas d’un chemin, à Saint-Sernin du Bois. En haut du chemin, c’est chez ses parents, où il vit plus ou moins, à aider son père comme il peut, et à bricoler des bagnoles. Il voudrait devenir garagiste. Le contrôle est désastreux : il a bu, il s’est drogué, et il n’a pas de permis de conduire. Le parquet met une peine à exécution, il est incarcéré.

Être comme un hamster dans sa roue
L’addiction, disait un juge assesseur il y a peu, ce n’est pas forcément consommer tous les jours, c’est surtout ne pas être dans la maîtrise, dans le contrôle de ce que l’on fait. C’est quoi, l’addiction ? ça vient d’où ? On peut être addict à tant de choses. Achats compulsifs, boulimie, anorexie, jeux, sexe, cannabis, tabac, héroïne, cocaïne, alcool, sport, liste non exhaustive. C’est être comme un hamster dans sa roue, à tourner, à tourner. Il est admis au tribunal que ceux qui décrochent de l’héroïne passent souvent sous le joug de l’alcool. L’addiction s’est déplacée, donc rien n’est résolu. Dans la vie courante, on est pléthore à avoir arrêté de fumer pour devenir accro à un substitut (y compris à la cigarette électronique). L’enjeu n’est plus la prise de nicotine. L’enjeu, qui reste bien mystérieux, c’est qu’on est addicte. Mais bon sang à quoi ? Pourquoi ?

« C’est dans la tête, c’est psychologique »
Celui-ci boit depuis 2001, dit-il, depuis qu’il a divorcé. Il ne travaille plus depuis quelques années. « C’est simple, plaide Mathilde Leray, quand on regarde son casier, on peut mettre en parallèle les passages à l’acte et des coups durs. Il ne s’inscrit pas dans une démarche délinquante pour le plaisir, mais à chaque fois qu’il rencontre des difficultés » - auxquelles il ne sait pas faire face. La présidente Catala rappelle la loi, celle qui vaut pour tous en toutes circonstances : « Quand on n’a pas le droit de conduire, on ne conduit pas. »
Puis elle interroge le prévenu, habilement, pour le pousser à inscrire ses actes dans le temps, en réfléchissant, en avançant pas à pas, au lieu d’être dans ses actes. Le prévenu, par une réponse spontanée, montre qu’il commence à comprendre un peu quelque chose à cette bouillie, en ce qui le concerne : « L’alcool, ça s’est accentué depuis la maladie de mon père. Mais j’ai pas de manque. C’est dans la tête, c’est psychologique. » On précise qu’il a enfin un traitement contre son hépatite B et il a pigé en prison, parce que le médecin a été catégorique, que s’il continuait à boire, « ça serait catastrophique ».

« Quand on commence à sortir du déni, on commence à se sortir d’affaire »
La présidente ordonne un peu les affaires. C’est pas le tout que ses parents aimants l’aident financièrement et pas qu’un peu, si c’est pour continuer à se débattre dans le noir. La procureur le teste à son tour, avant de requérir une peine mixte, avec du ferme aménageable, « mais il faut être rigoureux : être détenu chez soi, ce n’est pas être libre ».
Maître Leray ferme la marche par une juste remarque : « Quand on commence à sortir du déni, on commence à se sortir d’affaire. » Sortir du déni, c’est vraiment ouvrir l’esprit sur des questions et une recherche. A ce sujet, nous cherchons aussi, parce qu’on sature des affaires liées à des addictions, qui encombrent, vraiment, les tribunaux, et dont les personnes condamnées souffrent, forcément, vu le niveau insensé de problèmes qu’elles atteignent.

Addiction : du latin addictus, se disait de l’esclave affecté à tel maître
« Pour Joyce Mc Dougall, les addictions représentent, en tout premier lieu, des mécanismes de défense massive contre la douleur psychique, visant à obscurcir, écarter les expériences psychiques irrépressibles insupportables », « il s’agit d’une tentative d’auto-guérison vis-à-vis d’états psychiques menaçants, le sujet se sentant persuadé que la parade est assurée du fait de l’illusion de contrôle omnipotent sur l’objet de substitution (d’addiction) choisi, qui est censé ne jamais faire défaut. »
Chacun en pensera ce qu’il veut. Cette approche nous intéresse parce que cette psychanalyste a cherché à partir d’elle (en constatant ce qu’elle vivait lorsqu’elle a voulu arrêter de fumer) et non en position extérieure : il y a l’autre, qui est dans la m…, et moi qui vais bien puisque je n’ai pas affaire à la justice. Bah, la question dépasse largement le cadre judiciaire, ce point-là est impossible à contredire.

« Il ne faut pas lui interdire de repasser son permis »
Le parquet avait requis une interdiction de repasser le permis de conduire pendant une période, l’avocate plaide l’absolue nécessité d’avoir un permis de conduire quand on vit en zone semi-rurale ou rurale : « pour qu’il se réinsère dans une vie professionnelle, qu’il aille suivre des soins, qu’il puisse accompagner son père, il ne faut pas lui interdire de repasser son permis ».

Obligation de passer le permis de conduire
Le tribunal (juge unique) est d’accord avec cela. Condamne le prévenu à une peine de 8 mois de prison dont 4 mois sont assortis d’un sursis probatoire et inclut l’obligation de passer le permis de conduire dans le package soins (addicto et psycho)-travail. Le prévenu se saisit de cette obligation avec une forme de soulagement, ça lui donne un ordre de marche au lieu de tout fourrer dans le même sac. Les 4 mois ferme sont aménagés en détention à domicile sous surveillance électronique. Il passera les fêtes en prison et ensuite, si tout va bien, il pourra rentrer at home.
C’est comme un film de Noël au dénouement différé, d’autant plus qu’il faudra compter, nous dit-on, avec l’apocalypse des lits d’hôpitaux suroccupés dont on nous martèle l’inéluctable arrivée, entre deux bouchées de chocolat et les ho-ho-ho du père Nono.
Florence Saint-Arroman