Il s'était déplacé à Chagny dans l'espoir de retrouver une jeune fille... Il avait déjà été condamné en 2014, pour viol sur mineur par ascendant... A la barre il a voulu montrer aux magistrats qu’il en connaît un rayon en matière de fonctionnement informatique... Le tribunal veut prévenir tout risque. Si jamais ce monsieur passait outre, il serait incarcéré avant même d’être à nouveau jugé... Il n'a plus le droit de parler ou d'échanger avec des mineurs.
Un homme âgé de 57 ans a été jugé ce lundi 6 décembre pour détention d’images de mineurs à caractère pédopornographique. Il harcelait une femme qui avait mis fin à leur relation, elle était allée s’en plaindre à la brigade d’Autun. Elle s’était plainte de viol, également, ce qui a initié une enquête.
Le dossier « viol » fut classé sans suite. Par contre, l’exploitation du matériel informatique saisi lors d’une perquisition au domicile du mis en cause (au Breuil), a conduit le parquet de Chalon-sur-Saône à le poursuivre pour la détention de quinze photos mettant en scène des gamines « à peine formées », a-t-il dit à la barre, et affirmant que « du coup, ça ne m’intéresse pas ».
Déjà condamné, en 2014, pour viol sur mineur par ascendant
A la barre du tribunal réuni en chambre des comparutions immédiates, ce lundi 6 décembre, ce monsieur-là semble plutôt imperméable au caractère protecteur de certaines lois, précisément celles qui protègent les plus jeunes. Son cas est particulier du fait qu’il a déjà été condamné, en 2014, par la cour d’assises de Saône-et-Loire, pour viol sur mineur par ascendant, et qu’à la faveur d’une perquisition chez lui on trouve dans ses fichiers informatiques quelques photos de filles encore mineures pêchées dans une marée de photos pornographiques.
Le prévenu concède du bout des lèvres, et en grommelant, qu’en effet « on peut avoir un doute sur la majorité de ces filles, mais sur 2 000 photos… ». « Vous pouvez comprendre que ça nous inquiète ! » lui répètera le président Dufour, sans que son interlocuteur ne tilte.
Délit inscrit dans un paysage inquiétant
L’audience, on va le voir, est singulière car le délit qui lui est reproché s’inscrit dans un paysage plus large qui craint vraiment. Maître Marceau fera la part des choses dans sa plaidoirie, mais la substitut du procureur elle-même l’avait faite avant, en requérant une peine au quantum important (1 an de prison) toutefois aménagée. « Réquisitions entre chèvre et chou » dira l’avocat. C’est exactement ça : la personnalité du prévenu est inquiétante, mais ce pourquoi il est aujourd’hui jugé n’est pas si grave que cela puisse justifier son incarcération.
Pendant son suivi socio-judiciaire, il télécharge Tor, « pour aller sur le darknet »
C’est pas Ross Ulbricht, ce monsieur, oh non. C’est un ingénieur de formation qui a longtemps travaillé dans l’industrie au Creusot avant de se voir licencié lors d’un « plan de sauvegarde de l’emploi ». De quoi devenir zinzin avec ce discours qui dit une chose (« sauvegarde ») pour faire le contraire (licencier). Cela dit, l’origine de ses troubles ne vient pas de là, ça doit venir de plus loin. Par contre, on relève qu’il a repris un peu de cette méthode : il dit les choses d’une façon telle qu’elles ne désignent pas ce qu’il fait en réalité.
A la barre il aime montrer aux magistrats qu’il en connaît un rayon en matière de fonctionnement informatique, sans toutefois en dire trop car les juges et la procureur l’attendent au coin du bois sur ce sujet. Il a téléchargé, en 2018, en plein suivi socio-judiciaire, un logiciel qui sent le souffre. Le fameux Tor, celui qui permet d' échapper à pas mal de surveillances. « Je voulais aller sur le darknet. »
Waaaaa, carrément. Il grommelle que ça n’a pas marché, sa bécane est trop vieille, elle rame. Maître Marceau demande au tribunal de bien vouloir revenir à la prévention, on est hors sujet, là. On est en marge des poursuites, dans ce paysage aux contours que certes le prévenu rend nébuleux mais qui n’en est pas moins glauque.
La loi, dit le tribunal. La quoi ? semble répondre le prévenu
Le président : « A votre avis, pourquoi il est interdit d’avoir ce type d’images ? »
Le prévenu marmonne un truc dont ressort le mot « pudeur ». Puis il reprend un peu de poil de la bête et lance : « Mais ces jeunes filles, c’est juste de la nudité. »
Le président : » A votre avis, pourquoi on ne peut pas prendre des enfants (nus) en photo et/ou détenir ce genre de photos ? »
Le prévenu : « Sans doute parce que c’est des ados qui vivent encore chez leurs parents. »
La loi ?
« Traits de type pervers », a écrit le psychiatre dans son rapport d’expertise
Le président : On a vu pire, c’est vrai, mais ça interroge, monsieur.
Le prévenu : J’ai vu un psy. Il dit que je n’ai pas fait mon mea culpa par rapport aux faits d’avant (faits de nature criminelle jugés par une Cour d’assises, ndla), mais, il faut que je fasse quoi ? Que je porte une croix tous les jours comme Jésus ? Que je me tape la tête contre les murs ?
Un juge assesseur étrille un peu le dit « Cool dad », son pseudo lorsqu’il échange avec d’autres pseudos du type « Girl Chagny 15 ». Autant étriller une savonnette. Le juge conclut : « Votre histoire de mea culpa, de croix, etc., est-ce que c’est ça que la justice attend de quelqu’un condamné pour des faits de nature sexuelle ? »
Chercher les limites
Le prévenu met mal à l’aise parce que oui, il a des traits pervers. Le président passe à l’offensive avec quelques questions plus crues, histoire de voir jusqu’où va « Cool dad » condamné pour viol incestueux. A ce sujet, le monsieur dit : « On va pas me balancer ça à la figure tous les jours ! ».
Non, mais enfin la nature des faits mise en regard de ce pseudo dégueu utilisé après le procès, ça parle. Et ce que ça raconte, c’est moche, c’est crade, et ça a déjà été ignoble. C’est bien en raison de sa résistance à tout (les lois, les paroles, les sanctions judiciaires, les suivis psy, tout) que les questions, aussi violentes soient-elles, semblent lui glisser dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard. Enfin, il y a une limite, tout de même : « Avec un bébé ? C’est de la bestialité ! Avec un bébé ! Faut arrêter ! »
Hélas, il termine ainsi : « Vous n’allez pas me mettre ça sur le dos ! » Il est comme ça, ce monsieur, « on » lui met des trucs sur le dos. Quant à lui faire ressentir le sens d’une loi, à défaut de le comprendre, c’est mission impossible.
Il s’est déplacé à Chagny dans l’espoir de rencontrer une mineure
Quand Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, l’interroge sur les discussions retrouvées dans son ordinateur, avec la fameuse « Girl Chagny 15 », et en particulier sur le fait qu’il s’était déplacé à Chagny pour la rencontrer, le prévenu ne perd pas le nord :
« Ben oui, mais y a beaucoup de profils bidons sur ces sites, alors je suis allé voir, mais elle n’est pas venue. » Voilà comment il se fabrique sa morale perso : il y a des tas de faux profils, alors il va vérifier ça. Parce que mentir, c’est pas jojo ? « Vous lui avez proposé de vous faire une fellation », insiste la procureur. Il ne répond pas, il en reste à son action de monsieur Propre en guerre contre tous ces profils abusifs. Quant à ses abus à lui qui le mettent hors la loi… La quoi ?
« On est en présence d’un homme qui n’exprime aucune culpabilité »
Le président Dufour pose une question qu’on se pose aussi, à entendre cet épais fatras d’insanités : « Le suivi socio-judiciaire, l’injonction de soins, est-ce que ça a été réellement efficace ? » Derechef, le monsieur aux traits de type pervers revient à ce qui le mine : le psy qui lui reprochait de ne pas faire son « mea culpa ». « Après, c’est ce que je vous dis, on va pas porter sa croix pendant 25 ans. »
Visage fermé, le juge lui renvoie : « Et les victimes de viol, elles la portent pendant combien de temps, leur croix ? » Le rapport de l’expertise psychiatrique est limpide : « on est en présence d’un homme qui n’exprime aucune culpabilité », « se montre projectif en envoyant les torts sur un tiers ». La messe est dite. Assises ou correctionnelle, rien à cirer. Ah évidemment, ça cause des ennuis, tout ça.
Et puis la police enfonce votre porte pour perquisitionner, et puis faut voir des psys qui sont relous. Bref, c’est enquiquinant, mais « Cool dad » survit, parce que c’est comme ça, ce qui l’anime est plus fort que tout. D’un certain point de vue, il est malade, cet homme.
Des réquisitions entre « profil inquiétant » et « expertise peu aidante »?« Enquête insuffisante », rappelle la défense
La procureur regrette « une expertise peu aidante ». La question de fond est celle de la dangerosité de ce monsieur et, sur ce point, la magistrate a peu de billes, en dehors de la condamnation aux assises et du paysage « qui colore le dossier ». Ses réquisitions se situent donc entre « profil inquiétant » et « expertise peu aidante ».
Ce que maître Marceau appelle « entre chèvre et chou ». [Avant de hurler au laxisme de la justice, il faut bien penser que le cadre procédural nous protège tous. Les magistrats sont comme tout le monde : ils transfèrent, ils projettent, eux aussi, dans des proportions diverses et variées. Leur formation ne peut pas empêcher cela, c’est constitutif de la condition humaine. Qu’il y ait des limites aux dérives possibles (qui ne concernent pas le tribunal qui siège ce lundi 6, mais peu importe) est une bonne chose. Ndla]
La défense plaide l’inconsistance de l’enquête, son insuffisance, et l’obligation qu’ont les juges de s’en tenir aux poursuites (détention de 15 images mettant en scène des gamines) sans extrapoler ni le condamner pour ce qui ne lui est pas reproché dans cette procédure (comme la corruption de mineurs, par exemple).
« Le discours que tient monsieur n’est pas entendable »
Comme toujours lorsque les acteurs d’un procès sont honnêtes, ils se rejoignent sur le fond en dépit de leurs positions, de leurs fonctions qui les opposent à l’audience.
« Le discours que tient monsieur n’est pas entendable », dit Marie-Lucie Hooker. « C’est un dossier qui pose question, tant sur les faits que sur la personnalité de monsieur », plaide Julien Marceau qui ajoute « mais je me pose aussi des questions sur le travail des enquêteurs ». Le travail en question est piloté par le parquet, donc ce qu’il met en cause c’est le choix d’orientation en comparution immédiate, ça ne laisse pas le temps d’enquêter.
Ce sont des enquêtes chronophages, qui demandent quelques moyens puisqu’il faudrait partir en quête des gens qui sont derrière les profils aguicheurs. Y a-t-il à Chagny une gosse de 15 ans qui joue avec le feu, qui aurait besoin d’être secourue ? Y a-t-il derrière ce profil un autre papy pervers ? Bref, on ne sait pas. Le tribunal part délibérer.
12 mois de prison, détention à domicile, 5 ans de SSJ
Les juges suivent les réquisitions en augmentant le quantum du SSJ. Le prévenu est déclaré coupable et condamné à une peine de 12 mois de prison aménagés à la barre en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE).
Il a un nouveau suivi-socio judiciaire (SSJ) pendant 5 ans (3 ans de prison au cas où il enfreindrait son cadre). Injonction de soins, interdiction de tout contact avec des mineurs et de paraître dans des lieux en accueillant habituellement. Peine complémentaire : interdiction définitive de toute activité avec des mineurs. Constate son inscription au FIJAIS (fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes).
Une peine en forme de carcan pour ce hors la loi. La quoi ?
En résumé : ce prévenu au profil inquiétant mais qui en l’état du dossier n’est coupable que d’avoir détenu quelques images à caractère pédopornographique piquées dans le cyberespace est condamné fermement (vu la procédure – car le maximum ici c’est 5 ans), avec des mesures qu’on pourrait dire de sûreté.
Le tribunal veut prévenir tout risque. Si jamais ce monsieur passait outre, il serait incarcéré avant même d’être à nouveau jugé puisque 3 ans de prison vont étendre leur ombre sur lui. Lui qui visiblement oublie tout lorsqu’il « travaille » à sa bécane, comme un employé de bureau qui se serait forgé une compétence. Illégale. Hors la loi. La quoi ?
« Donc, les histoires coco.fr, c’est terminé. C’est clair ? »
Le tribunal enfonce le clou. « Monsieur, à partir du moment où vous parlez avec un mineur, vous serez en contact, et cela vous est interdit. Donc, les histoires coco.fr, c’est terminé. C’est clair ? » L’homme vieillissant, à la bedaine tendue sous sa chemise, grommelle un truc qui indique à quel point c’est clair pour lui (sic). Le président insiste : « Si vous ne respectez pas ces interdictions, c’est 3 ans de prison. Et vous avez 1 an sous bracelet. » Ni farouche ni rancunier, le monsieur part en saluant les juges, de la main. Ça glisse comme l’eau sur le dos d’un canard, même si c’est bien enquiquinant, tout ça.
Florence Saint-Arroman