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> Faits Divers > Au Creusot
25/01/2022 11:35
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LE CREUSOT : Leur mère ne supporte plus les réprimandes, les insultes et les coups...

Il a 54 ans, il est père de 6 enfants. Ils ont fuit l'Afghanistan...
« J’ai rien à dire. J’ai rien à reprocher à mon conjoint. » Son mari est dans le box. Un homme trapu aux cheveux et aux yeux d’un noir profond. Il est accusé de violences conjugales habituelles sur sa femme, et aussi de violences sur une de ses filles. Il a 54 ans, il est père de 6 enfants.
Ils ont fui l’Afghanistan, ils sont passés par la Grèce, ils en ont bavé comme c’est pas permis, mais « la position d’autorité du père », comme dit maître Ndong-Ndong, « classique » en Afghanistan, ne reçoit plus l’acceptation des uns et des autres.


La protection subsidiaire, ce n’est pas rien
L’avocat du prévenu retrace en gros le parcours de cette famille « qui s’est fragmentée avant son arrivée » : le fils aîné est parti en Iran, les sept autres sont arrivés en Grèce, le second fils a rejoint la France en 2017, il a vécu à Paris, il parle et comprend le français ; puis c’est au tour du père d’arriver, lui, à Dijon. La mère et les 4 autres enfants le rejoignent en 2019.
Ils s’installent à Montchanin, avant de vivre au Creusot. Il est impossible d’imaginer ce qu’ils ont vécu, les uns et les autres, en fonction de leurs âges (les plus jeunes n’avaient pas dix ans). Impossible d’imaginer les tensions, les peurs, les angoisses. La peur, aussi, d’avoir faim. La peur d’être maltraité. La peur d’être renvoyé. Tué. Tout peut arriver lors de ce genre de voyage. Tout. Ils ont déposé des demandes d’asile. L’OFPRA leur a accordé la protection subsidiaire, ce n’est pas rien*.

En sécurité mais tout est précaire
En France, ils doivent se sentir en sécurité mais ils vivent à six avec en tout 1400 euros par mois. Ils sont pauvres. Ils ne sont pas logés dans le quartier le plus paisible du Creusot.
Les parents ne parlent pas un mot de français même si le père poursuit les cours de français langue étrangère dispensés par l’OFII**. Bref, rien de facile ni d’évident, même s’ils ont (re)trouvé une stabilité. C’est dans ce contexte que le second fils fait l’objet d’une procédure : il a menacé son père avec un couteau. Le fils, entendu au commissariat, dit qu’au domicile le père est violent.

La mère voudrait plus de liberté et d’indépendance
Seconde procédure : le père est placé en garde à vue, on entend son épouse, ses enfants. L’épouse raconte que son mari et elle se disputent souvent.
Qu’il est violent verbalement et physiquement aussi, lui donnant à l’occasion un coup de poing dans le dos ou dans le bras, mais que cela n’est pas nouveau et qu’elle n’a pas peur de lui, ne se sent pas en danger, ne dépose pas plainte et ne veut pas se séparer de lui.
Certains de leurs enfants disent comme elle, et leur fille la plus jeune a été victime de lui également. Leur mère ne supporte plus les réprimandes, les insultes et les coups. C’est la fin d’un règne.

« Comment il explique que les violences soient corroborées par trois de ses enfants ? »
Mais le père nie et se débat. Alors la présidente Barbut entreprend, avec un calme constant, une manœuvre d’encerclement. Un interprète fait le lien. « Comment il explique que les violences soient corroborées par trois de ses enfants ?
– Je refuse la dénonciation de ma femme et de ma fille. Le garçon, c’est le dernier, il est toujours en train de jouer avec sa mère.
– Donc, ils mentent ?
– Oui.
– Alors comment il explique que le médecin ait fixé 7 jours d’ITT ? – Ma femme des fois, elle s’énerve, mais moi je ne suis pas violent du tout, je suis très calme.
– Et ce qu’a dit votre fille à l’assistante sociale de son établissement scolaire ?
– Je n’ai jamais frappé ma femme et mes enfants. »
L’homme parle de « vengeance », dit que ses fils, par frustration, cherchent à lui nuire, et que sa femme lui a promis la prison et l’expulsion. (« Le chantage à l’OQTF est hélas un moyen de pression très utilisé », dira maître Ndong-Ndong) « Soit, mais comment se fait-il qu’elle souhaite que tout cela vous serve de leçon et que vous puissiez reprendre leur vie commune ? »

« … protection subsidiaire mais les droits de la femme, eux, restent ultra-subsidiaires »
« Je peux être énervé, mais pas violent. » La présidente extrait alors des auditions, des détails qui se recoupent parfaitement et répond au prévenu : « cela n’explique pas pourquoi ils parlent tous de coups donnés avec des chaussures ».
Le père a osé dire que femme et fille souffrent de problèmes psychiatriques, rien ne vient appuyer cela, rien du tout. Oui, sa fille a vu un psychologue alors qu’ils étaient en Grèce, mais elle souffrait, a-t-elle expliqué, « à cause de notre exode ». Le père a désormais une santé fragile, un cœur fragile. Ça doit être flippant.
Aline Saenz-Cobo, vice-procureur, expose, pour la société, sa lecture du dossier : « On a une empathie naturelle pour des gens qui vivaient en Afghanistan, devenus réfugiés, mais cela n’empêche pas que monsieur puisse être lui aussi un oppresseur, violent. Ils ont la protection subsidiaire mais les droits de la femme, eux, restent ultra-subsidiaires, comme quoi il ne suffit pas de changer de pays pour avoir la plénitude de ses droits. »
Puisqu’il « est incapable de faire amende honorable », alors « une violence légitime répondra à une violence illégitime ». Elle demande une peine de 9 mois de prison dont 5 mois assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans.

« Elle n’a pas peur de son mari »
Maître Ndong-Ndong défend le père, à partir d’un autre point de vue. Il explique que le second fils, arrivé 3 ans avant les autres, a découvert la vie en France hors du corset familial. « Quand il revient vivre avec sa famille, il remet en cause la position de son père. »
L’avocat développe les difficultés intrafamiliales, et la « vision virile des choses » du père. Il plaide que l’épouse n’est pas en reste mais surtout qu’elle n’a pas peur de son mari. « Ils sont dans une société qu’ils connaissent à peine, ils ont de grosses difficultés d’argent, il faut remettre les choses dans leur contexte. » Il demande une relaxe au bénéfice du doute mais de doute il n’y en a pas.
D’autant que la CRIP (la cellule de recueil d’information préoccupantes) avait déjà reçu une alerte : un des fils jeunes avait contacté une éducatrice du CADA (centre d’accueil de demandeurs d’asile) pour demander de l’aide : « mon père est régulièrement violent avec toute la famille ».

Décision – éviction du domicile conjugal
Le prévenu est déclaré coupable et condamné à la peine de 7 mois de prison dont 4 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec obligation de travailler ou de se former et d’établir sa résidence chez sa fille aînée qui, mariée, vit dans un autre département.
Interdiction de contact (par tous moyens) avec les victimes ainsi que de paraître à leur domicile. La partie ferme de 3 mois est aménagée en détention à domicile sous surveillance électronique : sans l’accueil de sa fille et de son gendre, il aurait été incarcéré.
Ça ne va pas être simple pour ce petit monde, mais qui sait ? Il arrive qu’un mal débouche sur un bien, cela arrive même plus souvent qu’on ne le croit, si on le veut bien.  
Florence Saint-Arroman
*https://ofpra.gouv.fr/fr/asile/les-differents-types-de-protection/la-protection-subsidiaire
**Office français de l’immigration et de l’intégration : https://www.ofii.fr/