Par Luc ROCHETTE, Professeur Emérite
Faculté des Sciences de Santé – Dijon
La France n'a pas eu les « succès » espérés dans ses projets de recherche d’un vaccin contre la Covid-19. En ce mois de Mars où la pandémie n’est pas maîtrisée ,apres un an d’efforts, l'Institut Pasteur et les Laboratoires Sanofi ont annoncé l'abandon ou le retard de leurs candidats vaccins qui se sont avérés peu protecteurs contre le coronavirus responsable de la COVID-19, même si d'autres laboratoires français, moins connus, restent dans la course. Face à la crise sanitaire, il n'y a donc pas, pour l’instant, de vaccin « français » qui puisse rapidement être opérationnel alors qu’il est bien démontré que la vaccination est la démarche essentielle et urgente. Les États-Unis, le Royaume-Unis la Chine, l'Allemagne, ou la Russie ne semblent pas avoir « raté » leur objectif de mettre au point un vaccin. La stratégie qui a été à la base de la démarche contre le Coronavirus (SARS-CoV-2) adoptée par Pfizer/BioNtech et Moderna a été la bonne et n’a demandé qu’un an seulement pour sa mise au point, une réussite majeure sur le plan de l’efficacité d’une recherche à l’interface entre le fondamental et l’application clinique.
Cet « échec » de la recherche française dans le domaine vaccinal au pays de Louis Pasteur peut-il être considéré comme un signal inquiétant de la recherche dans le domaine du Vivant au sein de notre pays ? Rappelons aux Bourguignons que Pasteur a débuté ses fonctions de professeur dans un lycée à Dijon et que sa vie est ancrée dans notre grande Région Bourgogne Franche-Comté.
Est-ce que les démarches et les réflexions au sein de nos structures sont suffisamment favorables à l’innovation ? sont évoqués bien souvent en France la « lourdeur » de certaines démarches et le manque de moyens. Cette situation a été notée récemment par la française Emmanuelle Charpentier Prix Nobel de Chimie qui conduit ses recherches hors de France. Et dans ce contexte, certains responsables évoquent la fuite des « cerveaux ». Les exemples sont nombreux et pas forcément récents. On cite souvent le cas du Professeur Roger Guillemin, né à Dijon, qui après ses études de médecine à Dijon a dirigé des travaux exceptionnels aux USA couronnés par le Prix Nobel de Médecine et de Physiologie en 1977 . Toujours actif à « seulement 97 ans » comme il me l’écrivait récemment ; il garde un attachement affectif à la Bourgogne. On se rassure peut–être en notant que le PDG des Laboratoires Moderna, Stéphane Bancel, est français, né à Marseille et qu’il a intégré le laboratoire en 2011. Mais soyons réaliste, la France sait accueillir des chercheurs étrangers de renom au sein de ses Universités, et de ses centres de Recherche publiques et privés. Toutefois les modalités d’accès aux postes d’enseignant chercheurs et le fonctionnement imposé aux laboratoires imposent une réflexion sur l’attractivité et leur devenir.
Est-ce que la situation actuelle reflète une « frilosité » de nos démarches qui limite la prise de risques ? Il a été évoqué pour l’absence de succès des Laboratoires Pasteur et Sanofi un « manque de chance »… La pensée bien connue de Louis Pasteur est peut être adaptée à la situation qui est la nôtre : « La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés ». Cette pensée peut apparaître certes un peu rude quand on connait l’engagement sans limites des Femmes et de Hommes qui ont été impliqués dans les étapes de la mise au point d’un candidat vaccin couronné ou pas par une mise sur le marché.
Le succès de Pfizer et Moderna, c’est au départ le choix « risqué » d’un concept scientifique récent ; celui des ARN messagers qui a débouché, en un temps record, à la mise au point d’un vaccin et à sa production à grande échelle dans un contexte d’une pandémie.
Comment fonctionne le vaccin à ARN messager qui est à la base de la réussite de la mise au pont du vaccin actuellement utilisé pour protéger des milliards d’individus à travers le monde ? 7,8 milliards d’habitants sur terre plus ou moins sensibles aux coronarovirus donc en attente de vaccination.
Les vaccins à ARN messager fournissent au système immunitaire de l’individu des informations lui permettant de reconnaitre le virus qu’ils vont malheureusement héberger. A partir d’une séquence génétique reconnue à la surface du virus ; on synthétise des brins d’ARN messagers qui seront enveloppés dans des nanoparticules de lipides. C’est cet ensemble qui injecté à l’homme va permettre la production de protéines impliquées dans la synthèse d’anticorps qui protégeront l’individu vacciné lors d’un contact ultérieur avec l’agent infectieux. La durée de vie de l’ARN messager au sein du receveur est courte car il est détruit par des enzymes ce qui constitue un avantage par rapport à d’autres types de vaccins. Rappelons que certains vaccins se rapprochent des nouveaux vaccins dits à ARNm, c’est le vaccin ROR du calendrier vaccinal en cours. ROR est un vaccin combiné trivalent contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. Le vaccin ROR fonctionne avec des « virus à ARN naturel atténué ».
Choisir la « séquence génétique » à la surface du virus est la phase initiale qui conditionne la réussite ultime d’obtenir un candidat vaccin réellement actif et doué d’une efficacité élevée. Steve Pascolo leader d’opinion dans l’approche vaccinale par ARNm utilise la métaphore d’une bibliothèque et de la photocopie pour imager cette phase du choix de la séquence génétique. Steve Pascolo, directeur de la plateforme "ARNm thérapeutiques" à l'université de Zurich est français, il a fait sa thèse à l'Institut Pasteur avant de s’exiler en Allemagne, au sein d’un Laboratoire où ont été mis au point les premiers prototypes de vaccins utilisant l’ARN messager.
Pour reprendre la métaphore d’une bibliothèque, j’aime à choisir un extrait de « La Peste » d’Albert Camus : « Ce qui est naturel, c’est le microbe. Le reste, la santé, l’intégrité, la pureté, si vous voulez, c’est un effet de la volonté et d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter ». Imaginons que vous souhaitiez lire la page du roman où ces pensées sont imprimées. Pour retrouver l’ouvrage au sein d’une grande bibliothèque il faut savoir qu’il a été écrit par Albert Camus et dont le titre est « La Peste »… et au sein d’une bibliothèque ou d’une librairie que vous découvrez, repérer le rayon où sont classés les romans. Vous avez la chance de trouver l’ouvrage. Vient ensuite la recherche de la page ; vous gagnerez du temps si vous avez en mémoire le chapitre renfermant ces pensées. La page est trouvée : cherchez, vous trouverez. Ensuite vous pouvez la photocopier sans limite de nombre d’exemplaires.
L’ARN messager c’est la lecture d’une écriture, d’une empreinte, qui par elle- même n’a de signification que dans l’ordonnancement de lettres correspondant à une structure définie par la génétique. Ordonnancement qui ne doit rien au hasard mais qui « reflète » la structure de l’ADN spécifique à chaque individu.
Alors que les vaccinations contre la COVID-19 se poursuivent et s’amplifient, l’histoire retiendra les caractéristiques de cette pandémie et la réussite de certains vaccins. L’OMS a dénombré récemment plus de 200 vaccins en cours de développement dans le monde dont plus de 150 en phase préclinique. Si ces vaccins ne seront pas forcément destinés au traitement de la COVID-19, ils permettront des avancées dans d’autres approches thérapeutiques de pathologies pas forcément infectieuses. Si certains candidats vaccins n’ont pas eu la chance de se positionner comme des vaccins efficaces, soyons assurés que les efforts de la recherche sont toujours, à court terme ou à plus long terme, riches d’applications thérapeutiques innovantes. Les recherches initiales sur les ARN messagers ont bien souvent été jugées avec une grande « modération » sans grand enthousiasme par certains scientifiques ; l’imagination créatrice a finalement été récompensée.
La recherche n’a pas de frontière et c ‘est un investissement pour l’avenir qui engage l’ensemble des partenaires publiques et privés au sein d’une symbiose qui doit être étroitement coordonnée ; gage de réussites au pays de Pasteur.
Luc ROCHETTE Professeur Emérite
Faculté des Sciences de Santé – Dijon.
Université de Bourgogne Franche-Comté