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13/10/2022 03:17
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André Accary : «Contre les feux de forêt, la France doit renforcer ses moyens aériens, mais aussi poser la question de la contribution des assurances à l’effort»

A la demande de François Sauvadet, président des départements de France, le Président du Conseil départemental de Saône-et-Loire, André Accary a mené une mission flash sur les feux de forêt. Il dévoile l’essentiel du rapport dans une interview exclusive.
Que vous avait demandé François Sauvadet quand il vous a confié cette mission flash sur les feux de forêt ?
ANDRE ACCARY : «Le premier objectif était de faire un diagnostic sur tout ce qui s’était passé, sur l’ensemble des territoires en France. Et à partir de cette vision générale, voir ce qui a très bien fonctionné et voir ce qui peut être amélioré. Avec mon collègue Jean-Luc Gleyze, président de la Gironde, nous avons travaillé sans à priori».
 
Et qu’est-ce qui ressort en premier lieu ?
«La première chose que nous avons remarquée, c’est la solidarité entre les départements, avant même que l’Etat intervienne. Les départements, au travers des services départementaux d’incendie et de secours ont été très réactifs dans la solidarité. Nous en Saône et Loire, le 21 juin, après le violent épisode de grêle qui a frappé le Charolais, on avait fait appel à la solidarité de nos voisins et ils ont immédiatement répondu…
 
Et pour les incendies ?
«Ensuite, dès le début des violents feux de forêts en Gironde, dans le Doubs, en Bretagne, ou dans le Jura, spontanément il y a eu des envois de renforts des autres départements. Pour bien comprendre la mobilisation, il faut savoir que sur les 30 équipes feux de forêt que nous avons en Saône-et-Loire, on en a envoyé jusqu’à 11 là où on avait besoin de nos pompiers»
 
Quelle philosophie a présidé face aux multiples incendies ?
«Il y a aussi la doctrine des pompiers. Il ne faut pas la changer. Cette doctrine elle fonctionne. Cette doctrine c’est d’attaquer massivement les feux naissants. Il y a des centaines d’incendies qui ont pu être éteints. C’est pour cela qu’il faut se donner les moyens de combattre au plus vite un feu naissant.
La mobilisation des pompiers volontaires, en ce sens, a été exemplaire. Beaucoup sont partis sur leur temps de congé. On n’a pas de problème de mobilisation. Les systèmes d’information, les délais d’alerte ne sont pas en cause et cela nous avons pu le mesurer. Comme on a pu voir dans le Jura que faute de moyens disponibles suffisants et compte tenu de la complexité de la forêt, le feu a galopé sur des centaines d’hectares».
 
Pour le Jura on a beaucoup parlé du rôle des agriculteurs…
«Oui, ce qui a aussi très bien fonctionné, c’est bien par exemple l’appart des agriculteur dans le Jura. Ils ont amené beaucoup d’eau. Leur mobilisation a été spontanée. Et pas que dans le Jura…»
 
C’est-à-dire ?
«Les forestiers en Gironde ont eu un rôle essentiel, pour ne pas dire vital, pour tracer chemin et permettre aux pompiers de se positionner pour intervenir le plus efficacement possible face à l’ampleur du sinistre. Les chasseurs ont aussi beaucoup aidé dans le traitement et la connaissance du terrain».
 
Qu’avez-vous noté de positif encore ?
«La logistique a très bien fonctionné, avec un élan de solidarité exceptionnel. 3000 hommes qui sont mobilisés pour combattre les feux, il faut les nourrir. Partout sur le territoire cette solidarité a été remarquée et saluée».
 
Quelle première conclusion tirez-vous ?
«La coordination c’est le Préfet et il ne faut pas le changer. Le Préfet a un rôle pivot à l’échelle du département. C’est précieux et c’est à conserver.
Car les résultats sont là. En Gironde, 10.000 maisons ont été sauvées, et il aucune maison n’a brûlé dans le Jura. Il n’y a pas eu de pertes humaines et pour bien mesurer le défi relevé par les pompiers, je rappelle que l’incendie de 1947 avait vu 50.000 hectares détruits et 80 morts !»
 
Qu’est-ce qui peut être amélioré ?
«Dans certains départements toute la prévention mise en place montre son efficacité. A la Réunion, par exemple, des équipes patrouilles et les touristes sont mis à contribution pour des alertes immédiates».
 
La solidarité européenne a-t-elle été efficace ?
«Le territoire concerné ne savait pas qui venait, quand et combien. Il n’y a pas eu de renforts logistiques. Tout le monde a fait des louanges des Polonais, parce que ce sont les meilleurs»
 
Les réponses apportées aux besoins ont donc été bonnes alors....
«Oui, mais attention… Le 18 juillet la Gironde avait 100% de ses effectifs et de son matériel mobilisé sur les incendies.  A Bordeaux il n’y avait plus de pompiers..
Le constat c’est que l’on est arrivé à la limite de l’exercice. On ne pouvait pas en absorber plus. On a constaté des limites de la mobilisation».
 
Que préconisez-vous alors ?
«Sur des incendies naissant, il est important d’avoir des moyens aériens. Cela a fonctionné sur plein d’incendies.
Dans le Sud Est de la France, tous les incendies ont été traités au tout début. Dans les autres départements plein de feux naissants n’ont pas pu être traités, car il n’y avait pas assez de matériels.
Il faut donc avoir des moyens diversifiés, mais surtout avoir un pré positionnement des moyens aériens. C’est ce que nous suggérons. Cela doit être demandé par le Préfets de zone, en fonction du risque.
Actuellement les moyens sont positionnés dans le Sud de la France. Il ne faut pas que tous les avions viennent du Sud Est.
Le Préfet de zone doit pouvoir décider d’une prédisposition des moyens. En Bretagne il faudrait peut-être imaginer des moyens. Cela pour pouvoir appliquer la doctrine du feu naissant attaqué au plus vite.
Je rappelle que c’est la première fois que l’on a utilisé deux hélicoptères en Saône-et-Loire, car ils étaient disponibles, pour l’incendie de Saint-Prix dans le Morvan»
 
Certains départements peuvent être tentés d’investir. Que répondez-vous ?
«Il faut que les moyens aériens restent du domaine de l’Etat. Il faut vraiment. Pour avoir une stratégie cohérente.
Des départements louent des hélicoptères. La Gironde l’a fait. Le Jura ne peut pas.
Le problème c’est que les collectivités n’ont pas les mêmes moyens. Il y a beau coup de différences d’un département à l’autre.
Il faut les moyens aériens soient régaliens. Il faut aller sur un système de prédisposition.
On n’a pas pu aller visiter la base de Nîmes, mais il y a très clairement une faiblesse des moyens aériens.
Le constat que l’on a pu faire, c’est que dans des départements comme la Saône et Loire, qui étaient hors risques, les feux de forêts importants ça devient possible. C’est pour cela que l’on a eu des hélicoptères en renfort à Saint-Prix»
 
Quelles réponses peuvent être apportées aux risques à l’échelle d’un département ?
«Depuis 3 ans, en Saône-et-Loire, on a formé ; Aujourd’hui plus de 500 pompiers sont formés. Nous avons décidé d’investir dans six véhicules, dits «Super», pour pouvoir en envoyer deux à la fois sur un feu de forêt, pour avoir 30.000 litres d’eau.
L’objet du rapport c’est de sensibiliser. Bretagne, Jura, Finistère. Le changement climatique ne peut pas être contesté. Il faut se préparer partout. Il faut donc réorienter certains investissements. Mais il faut aussi travailler à d’autres niveaux…»
 
Lesquels ?
«Un exemple très simple : L’appui décisif des agriculteurs. On propose des formations pour les agriculteurs. L’objectif, c’est de se nourrir ce qui se fait très bien dans le Sud Est.
Des systèmes d’alerte… Des pompiers en retraite, pour du transport. Travailler sur le débroussaillage. Entretenir les zones. Travailler sur des passages d’engins, travailler sur des coupes feu. Avoir aussi un vrai travail de formation/
Dans le Jura on a constaté que des touristes se massaient pour prendre des photos. Il y a de la formation et de la pédagogie, à faire.
C’est pour cela que dans nos propositions figurent une planification des plans de sauvegarde, canaliser les bonnes volontés. Les entreprises, les agriculteurs ; mettre aussi autour de la table l’ONF et l’armée… Je le répète il faut travailler au sens large pour mieux anticiper les risques et avoir les meilleures réponses».
 
Les méga incendies de cet été n’ont-ils finalement pas servi de révélateur sur des territoires qui n’étaient pas touchés jusqu’alors ?
«Il y aura un avant et un après. On va continuer sur les autres risques.
Sur le risque feu, il faut un déclic : Mieux s’organiser et investir différemment.
Allons voir les collégiens. Peut être faudra t il interdire ou réglementer des balades. Interdire des barbecues, insister sur les mégots de cigarette, éviter de poser ou laisser du verre par terre. C’est bien une approche globale des risques que nous devons avoir.
Dans le Parc du Morvan, par exemple il faut peut être sensibiliser ceux qui se balade en forêt sur les risques».
 
Faut-il imposer des coupes préventives dans toutes les forêts ?
«Le constat que l’on a pu effectuer, c’est qu’il faut travailler sur des lieux de passages pour les engins d’incendie, des bandes qui séparent les forêts. Il faut des zones de coupes. On sait ce qui se passe s’il ; n’y a pas de grands passage d’un minimum de 8 mètres de large.
Par zone il faut travailler sur cette question. Toutes les configurations ne sont pas identiques. Il faut travailler sur l’aménagement du territoire.  Une maison au milieu des bois c’est bien, mais il faut des coupes tout autour pour ainsi limiter les risques de la voir détruite par un incendie.
Notre enquête sur le terrain nous a aussi permis de découvrir des facteurs de risques».
 
Vous pensez à quoi ?
«On a découvert des feux qui n’existaient plus. Avant on traitait vignes, maintenant ce n’est plus le cas et le feu peut aller très vite et tout détruire. De même les lignes sncf qui faisaient coupe feu ne sont plus traitées».
 
A l’échelle de la Saône-et-Loire, comment allez-vous travailler ?
«On a formé pompiers, réorienté nos investissements, on a monté une brigade de retraités de plus de 90 personnes. On va travailler, sous l’égide du Préfet, tous ensemble. Dans le Finistère ils vont se mettre tous ensemble. il y a une prise de conscience.
François Sauvadet dit qu’il faut prédisposer les moyens de de façon solidaire et concertée. Mais on travaillait déjà ensemble. Avec la Côte-d’Or et le Jura, on achète nos camions, nos fluides, nos pneus ensemble».
 
Comment comptez-vous financer les investissements obligatoires que vous préconisez ?
«Dans la recherche des financements, on a écrit la notion du «sauvé» ! Je m’explique : Les assurances vont payer les maisons qui ont brûlé. Mais il faut quand même bien considérer que les pompiers ont sauvé 10.000 maisons et ont donc généré des économies énormes pour les sociétés d’assurance. Je rappelle que dans le Jura les pompiers ont décidé de sauver les centres bourgs.
Il faut donc, sans tabou, poser la question de leur participation, car les maisons sauvées c’est l’argent public, ce sont les contribuables qui finalement ont payé. Peut-être faut-il aussi se poser la question des taxes de séjour et creuser d’autres pistes».
 
Recueilli par Alain BOLLERY

Un stock de 7 hectares de bâches…

Lors de la dernière session du conseil départemental, André Accary a annoncé que le département a décidé de créer un stock stratégique pour faire face aux événements climatiques, comme l’orage qui a frappé le charolais le 21 juin. 110.000 euros ont été mobilisés pour constituer un stock de divers matériels, dont des bâches représentant une surface totale de 7 hectares. Après la mission sur les feux de forêts, Départements de France va aussi travailler sur les autres risques.
A.B.